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A livre ouvert..... Lettres du bagne.

7 Décembre 2009 , Rédigé par daniel Publié dans #à livre ouvert

 

C'est un ouvrage, hors du commun, que j'ai eu la chance de trouver à Cayenne lors de mon séjour.
Les Archives nationales d'outre-mer publient pour la première fois des correspondances de ces hommes et femmes mis au ban de la société et exilés à des milliers de kilomètres de la métropole, essentiellement en Guyane et en Nouvelle-Calédonie où furent regroupés en un siècle et jusqu'en 1953 plus de 100.000 condamnés dont environ 2000 femmes (la déportation des femmes fut arrêtée en 1907.... )
Ces lettres, rassemblées par Isabelle Dion et Hélène Taillemite, racontent la vie des relégués, décrivent leur cadre de vie, leurs peines leurs souffrances, leurs espoirs de fin de cauchemar. Il y a aussi les lettres reçues par les bagnards qui montrent que la souffrance et la misère étaient aussi chez les proches en France.
La correspondance des condamnés était soumise au contrôle étroit de l'administration pénitentiaire . Elle était strictement réglementée : les condamnés avaient le droit d'écrire une fois par mois et uniquement le dimanche et pas plus de 4 feuilles sur papier réglémentaire. Toutes les lettres étaient lues, copiée quand elles étaient envoyées.
 De très nombreuses lettres étaient destinées à l'administration pénitentiaire, au Ministre ou au Président de la république.... mais attention, les réclamations non fondées, les déclarations mensongères pouvaient coûter très cher avec parution en commission disciplinaire et jours de cachot en perspective.... mais beaucoup ne manquaient pas de culot et certains conservaient même un brin d'humour.........

 « Monsieur le Ministre des Colonies 
Veuillez m'excuser de la liberté que je prends à vous adresser cette lettre à titre de réclamation et pour vous citer quelques faits que l'administration abuse sur son pouvoir à l'encontre de nous, transportés.... 
...... me trouvant nu-pieds et attribué à des travaux soit de culture ou de débroussaillage, il m'était presque impossible d'accomplir cette tâche, devenue presque torture à la suite des piqûres des fourmis rouges, moustiques et d'autres. J'adressais une réclamation en conséquence à Monsieur le Commendant du pénitencier lui réclamant à juste titre une paire de souliers mais sans résultat. pour toute réponse on me disait : y en a pas... 
.... et alors que faire dans ce cas: Je me vois dans l'obligation de ne plus aller au travail nu-pieds.....
...  car lorsque la Cour d'assise a prononcé ma condamnation de 5 ans de travaux forcés... il n'a point été du tout spécifié que je devais travailler nu-pieds..... 
j'ai tenu donc, monsieur le Ministre à vous tenir  au courant de tout cet état de choses car je suis sûr et certains que vous devez totalement l'ignorer.....
......Dans l'attente d'amélioration, recevez, Monsieur le Ministre, l'assurance de mes profonds remerciements respectueux.
Le transporté de 3ème classe Barra Constant du pénitentier de Kourou Camp de Pariacabo.
Le 1er mai 1906 Guyane française. »

D'autres lettres, au contraire, étaient tout ce qu'il y a de plus emphatiques. «  ô grand Ministre ! Daignerez vous entendre, du fond de sa cellule, les plaintes, les supplications de l'humble, du paria ?»
Les plus touchantes, spontanées parfois incohérentes étaient les lettres adressées à la famille;
«
Camp Est le 22 avril 1883
Ma chère épouse,
J'ai reçu ta lettre du 28 janvier ce qui m'a fait un bien grand chagrin en apprenant la mort de mes deux petites filles, c'est un grand malheur pour nous, mais ne te chagrine pas car je me joins à toi pour éprouver le grand malheur que nous avons eu....
Tu me dis que tu te vois délaissées de tout le monde ; laisse ceux qui te délaissent pour ce qu'ils sont. Quand à moi je ne t'abandonnerai jamais. Tu me crèves le coeur en me disant que ma petite Joséphine me réclamait à son dernier moment. Pauvre enfant et moi si éloigné de vous..... le mieux que tu as à faire c'est de venir me retrouver où je suis; nous ne serons pas malheureux tous les deux. Fais en la demande au ministère...
». Généreux le mec avec sa femme.
 

Et puis il y eut les patriotes ou les opportunistes ou encore peut-être, les patriotes opportunistes :

" St Jean du Maroni le 7 mai 1917,
Monsieur le Ministre,
A l'heure si grave que nous vivons, permettez à un pauvre exilé de venir malgré son indignité solliciter son enrôlement pour la défense de la Patrie.... ne vaut-il pas mieux que je remplace au front un père de famille qui est plus utile que moi ? ... Je vous supplie de m'accorder la faveur de m'engager pour la durée de la guerre et je vous promets de faire mon devoir, tout mon devoir plus que mon devoir..."

 Enfin des lettres de ceux qui ont fini leur temps de travaux forcés mais étaient maintenus en Guyane :
" Saint Laurent du Maroni le 27 mai 1930,
Mon cher frère
,

.... je vais assez bien, je me fais vieux. Le moral en est la cause, comment pourrait-il en être autrement ? Voici 22 ans qu
e j'ai fini ma peine de travaux forcés le 13 novembre 1908.....  (Il dut subir ensuite l'astreinte à résidence perpétuelle en Guyane ; astreinte qui ne fut levée qu"en 1933...). Tout cela dans le but de te revoir, toi que j'ai tant aimé, toi mon cher frère.... 

 Il y a aussi dans cet ouvrage une lettre d'Alfred Dreyfus qui a été interné à l'île du Diable entre mars 1895 et juin 1899. Ramené en France pour la révision de son procès il fît le 24 septembre 1900 une demande de restitution de lettres au ministre des colonies :
" Monsieur le Ministre,
J'ai l'honneur de solliciter de votre bienveillance la restitution des lettres que m'a écrites ma femme pendant mon séjour à l'île du Diable, et qui ne me sont jamais parvenues, ainsi que la restitution des originaux de celles qui me sont parvenues seulement en copie..."

Ce livre est admirable : toutes les lettres, bouteilles jetées à la mer, sont à lire, riches d'enseignements. Poignantes, cocasses,  malheureuses, naïves, hypocrites comme celles ou des bagnards expliquent au Ministre ou au Président de la République  que s'ils ont fait des tentatives d'évasion, ce n'était pas prémédité.  Ils ne l'ont pas fait exprès, juste des circonstances à saisir, sans réfléchir....   
Je ne sais si ce livre est en vente en librairie en métropole, il est paru en septembre 2007 et voici pour rensignements une adresse mail  contact@iemeditions.com 

(A suivre)

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B
Merci de cette précieuse indication
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