Saga africa......Les Largeau, père explorateur et fils colonisateur.
Rappel : Voila encore un article que j'ai eu grand plaisir à préparer et qui fut assez bien reçu par les visiteurs de ce blog si j'en crois les commentaires. ..... En le republiant aujourd'hui j'espère trouver de nouveaux curieux satisfaits. La première publication date du 6 novembre 2010. Il n'y a aucun changement..... juste la date de publication : aujourd'hui 4 juin 2021.
Je poursuis ma quête de gloires régionales ; quitte à vivre en Poitou-Charentes depuis 25 ans et condamné, en père peinard, d’y faire retraite à perpète autant m’intéresser à ceux qui s’y sont faits un nom en prenant le large. Après René Caillié de Mauzé sur le Mignon, après Jacques de Liniers le niortais argentin voici la famille Largeau de Magné. L’ensemble de ses enfants du pays étant nés entre fin du XVIIIème et XIXème siècle et géographiquement dans un rayon de 20 km. Vains dieux d’yeux (selon mes lectures) que d’aventuriers jalonnent l’histoire du pays niortais !
C’est en consultant plusieurs ouvrages sur Savorgnan de Brazza que j’atterris en Deux-Sèvres avec la famille Largeau (dont j’avais quand même déjà entendu parler : Faya Largeau au Tchad).
Savorgnan, un héros de mon enfance magnifié par les livres d’histoire de France façon Mallet et Isaac et le hasard d’avoir également retrouvé dans une pile de vieux exemplaires « du Petit journal », qui devait être un reste d’héritage de mon grand-père, des récits et images de Brazza l’explorateur humaniste. « Qui touche le mât du drapeau est un homme libre » disait-il aux indigènes.
La longue phase de conquêtes patientes et « relativement » pacifiques symbolisée par les soldats républicains comme Brazza et Faidherbe allait brutalement être arrêtée en fin de XIXème siècle pour faire place à une politique d’expansion d’urgence, de résultats et de profits ; une politique revendiquée par des gouvernements de IIIème république plus nationalistes et revanchards.
Selon un livre de René Maran consacré à Brazza, la rupture, le changement de ligne politique est acté par une lettre de janvier 1898 du ministre des Colonies André Lebon qui révoquait Brazza. (Lebon qui monta aussi quelques mois plus tard l’opération Voulet-Chanoine de sinistre mémoire). Ce ministre était député des Deux Sèvres, circonscription de Parthenay et avant d’abandonner la politique pour se consacrer aux affaires et au syndicalisme patronal, il fut l’actif artisan du découpage de l’Afrique équatoriale française en multiples concessions dont-il confia l’exploitation à une quarantaine de grandes sociétés française. Pour arriver à ses fins il demanda à l’armée de mettre au pas les chefferies indigènes locales en abandonnant rapidement la méthode « douce » initiée par Brazza.
Pour justifier la mise à l’écart de celui qui était alors le gouverneur général de la colonie du bassin congolais, le ministre s’appuyait notamment sur les témoignages de Marchand et de ses officiers, dont le jeune capitaine Emmanuel Largeau, qui accusaient Brazza d’être responsable des ratés et du retard de la mission Congo-Nil. Marchand décrivait la colonie du Congo français géré par Brazza comme un « marécage puant » dirigé par des « gloires en baudruche ».
Le ministre disposait aussi d’informations assassines provenant d’un vieil ami, compatriote deux-sévriens, Victor Largeau, le père d’Emmanuel, ancien explorateur du Sahara, devenu en fin de carrière administrateur de Loango au Congo sous les ordres de Brazza, dont il faisait un portrait peu flatteur et en l’affublant du surnom du «farniente» (allusions aux origines italiennes de l’explorateur et à ses méthodes douces et patientes de contacts avec les indigènes).
De son côté Brazza accusait Victor Largeau d’être corrompu par les agents commerciaux désireux de mettre en place un régime d’exploitation sans se préoccuper des droits des indigènes. Je ne sais pas comment s’est articulé ce plan anti-Brazza mais le résultat en fut son éviction et la mise en œuvre d’une nouvelle politique coloniale; une politique brutale et mercantile qui établissait sans hypocrisie que la France était présente en Afrique pour ses intérêts en se constituant un empire….
Et pourtant ! Etonnante destinée que celle de la famille Largeau. Ils ont contribué à la création de cet empire colonial français en Afrique, l’un par le Nord, l’autre par le Sud. Leurs moyens furent différents mais complémentaires. Les missions de Victor avaient pour but le développement économique, celles d’Emmanuel furent militaires. Les deux faces d’une même pièce.
La famille Largeau était enracinée à Magné, la porte du marais Poitevin à 5 km de Niort. Le père de Victor Largeau se prénommait Pierre et sa mère était Louise Déborde. Pierre était né en 1818 et fut entrepreneur. Son grand-père Jean né en 1782 était poissonnier, son arrière grand-père Pierre né vers 1750 était tisserand et son trisaïeul un autre Pierre, né vers 1730, était journalier. Tous ses ascendants étaient natifs de Magné. Des générations de magnésiens : Qu’est ce qui a bien pu pousser Victor à prendre le vent du large ? Le rêve de Tombouctou, l’exemple du glorieux voisin René Caillié dont le journal de voyage avait été publié en 1830….. Cela devait donner des fourmis dans les jambes et puis, en ce si calme et si tranquille marais poitevin, les racines ne sont jamais très profondément ancrées et au moindre coup de vent provenant du golfe des pictons, les rêveurs aventureux prenaient facilement le large, que ce soit vers les Amériques, l’Asie, L’Océanie ou l’Afrique.
Voici les portraits de Victor et Emmanuel Largeau établis par Dominique Breillat doyen honoraire de la faculté de droit de l’Université de Poitiers,
Victor Largeau « né à Magné le 21 juin 1842, appartenait à une famille modeste. Typographe, il fut tenté par les grands espaces et se rendit en Algérie pour se consacrer à la connaissance du Sahara…... Il voulait faire en sorte que les caravanes venant du Soudan aillent vers l’Algérie plutôt que vers le Maroc ou la Tripolitaine.
Il fit trois voyages dont aucun n’aboutit vraiment sans pour autant que cela put être considéré comme des échecs.
Le premier débuta en décembre 1874, il partit vers Touggourt, en passant par l’oued Igharghar, il atteignit Gadamès où il obtint du medjeles (conseil) la promesse d’«un bon accueil» aux commerçants français. Mais il ne put poursuivre plus loin manquant de ressources.et rentra à Touggourt en mars 1875 »
Pour le second commencé en novembre 1875, « il atteignit à nouveau Ghadames par un autre itinéraire mais il ne put encore poursuivre en raison de l’hostilité du pacha de Tripoli.
Enfin en 1877, on lui demanda d’étudier un trajet de chemin de fer transsaharien par Ouargla et Tidikelt. Mais, trahi, il ne put une fois de plus poursuivre, les habitants d’In-Salah ayant manifesté leur hostilité » il ne put dépasser l’oued Mia.
Victor Largeau, le saharien, revint à Niort en 1879 et devint « inspecteur départemental de l’assistance publique, publiant cinq ouvrages sur l’Algérie et des contes et légendes.
Mais au bout de quelques année l’Afrique lui manquait et après un rapide passage par le Soudan en 1886 « il obtint un poste de commandant de cercle et séjourna 18 mois dans le Fouta-Djalon (Guinée).
Après un intermède en Polynésie il put encore repartir en Afrique en 1891 où il se retrouva sous le commandement de Brazza dont il n’appréciait manifestement pas les méthodes de travail. « Epuisé, il revint en France en 1897 pour mourir à Niort le 29 mars.»
Tous les fils de Victor Largeau firent carrière aux colonies dont le plus célèbre fut Emmanuel.
Emmanuel Largeau « est né à Irun (Espagne), au hasard des pérégrinations de son père le 11 juin 1867. Après des études au lycée Fontanes de Niort, il s’engagea à 18 ans au 3éme régiment d’infanterie de marine à Rochefort en 1885. Il servit au Soudan sous le colonel Archinard
Revenu en France, il fut admis à l’école de sous-officiers de Saint-Maixent dont il sortit sous-lieutenant en 1890.
Lieutenant en 1892, il participa à la colonne de Kong du colonel Monteil qui luttait contre Samory. C’est là qu’il fit la connaissance de Marchand. Après un retour en métropole, il fut appelé à l’état-major du ministère des colonies pour participer à l’expédition Congo-Nil de la mission Marchand de juillet 1896 à juillet 1898.
Hasard de l’histoire, connivence amicale ou convergence d’intérêts entre Victor Largeau et André Lebon, élu des Deux-Sèvres de 1893 à 1898 et ministre des colonies de 1896 à 1898.
Quoiqu’il en soit Emmanuel Largeau fut digne de la confiance qui lui avait été accordée en devenant est l’un des éléments majeurs de l’expédition Marchand. « Il manqua périr lorsqu’il fut envoyé par Marchand pour rechercher Baratier égaré dans le Bahr el-Ghazal. On sait que la mission Marchand dut abandonner Fachoda pour éviter un conflit avec le Royaume-Uni. Marchand était cependant fier de ses hommes et plus particulièrement du lieutenant Largeau qu’il proposa au pour une promotion au grade de capitaine.
Largeau avait alors 31 ans ; promu au grade supérieur, il comptait déjà neuf campagnes. Après être passé à l’Ecole de guerre en 1900, sa carrière allait se dérouler essentiellement au Tchad de 1902 à 1915 où il révéla des qualités de détermination, d’énergie, d’intelligence et d’humanité. En tant que commandant du territoire Tchad il combattit pendant plus de dix ans les Sénoussis finissant par les vaincre définitivement fin 1913 en les chassant et les repoussant jusqu’au désert lybien. Emmanuel Largeau fut élevé au grade de général, devenant le plus jeune général de l’armée française.
« Ayant appris avant les Allemands le déclenchement des hostilités, il prit l’initiative d’attaquer Kousseri, face à Fort-Lamy qui fut pris en septembre. Puis ce fut la conquête du Cameroun avec l’aide des Britanniques. Lorsqu’il quitte la Tchad, le territoire était stabilisé dans ses limites actuelles. Mais le général Largeau voulait se battre en métropole. Il prit le commandement de la 37e brigade d’infanterie en janvier 1916. Le 26 mars, il fut blessé dans le secteur du bois d’Avocourt à Verdun et mourut le lendemain ».
La dépouille d’Emmanuel Largeau fut ramenée au cimetière de Magné en 1921. «Tous les symboles de sa carrière étaient présents. Son cercueil fut recouvert du drapeau tricolore qu’il avait planté à Fachoda. A côté, on avait placé deux trophées : un étendard sénoussiste pris à Aïn Galaka et le drapeau allemand pris à Kousseri »
Dans la famille Largeau j’ai d'abord choisi le père Victor pour sa rupture avec les traditions et sa soif d’aventures. De ce que j’ai pu lire et surtout son activisme contre Savorgnan de Brazza, gloire deux-sévrienne ou pas, je l’ai abandonné, déçu par ses manigances de fin de carrière ….on ne démolit pas impunément un mythe de mon adolescence….Victor le jeune saharien oui ! Victor le vieux congolais non !
Par contre j’ai découvert Emmanuel le tchadien, qui bien que militaire, m’a agréablement surpris. Ainsi je découvre dans divers écrits dont ceux d’Albert Lebrun (Président de la république de 1932 à 1940) un personnage surprenant. « Pendant dix ans le général Largeau employa ses étonnantes facultés de soldat, d’administrateur, de diplomatie et de linguiste, à faire du territoire du Tchad une colonie française où règnent la paix et l’ordre…..Ce soldat était un méditatif, un modeste et un doux….. Il n’a jamais pu voir, sans un attendrissement qu’il voulait secret, le triste spectacle de la misère des noirs en pays islamisé…. »…. Encore un qui casse ma mythologie ! Où va-t-on si les sabreurs ne sont plus tous de vrais salopards ? Dans la famille Largeau je vais finalement conserver de préférence Emmanuel, mort pour la France à Verdun. Moi mon colon celle que je préfère….
Maintenant je m’en vais de ce pas reprendre mes lectures, mes recherches sur le bon Savorgnan….. que je retrouve enfin mes marques.
(A suivre)