A Livres ouverts .... Camus l'éternel révolté
J'aurais pu référencer ce billet dans la catégorie "Presse aidant", dans la mesure où j'ai beaucoup emprunté à un hors-série de l'Obs intitulé Camus l'éternel révolté qui parut en septembre 2017. J'avais encore dans ma bibliothèque un exemplaire de L'Étranger et un autre de La Peste, deux bouquins un peu fatigués, que j'ai relus pour le plaisir et que j'ai complété en ce début d'année où l'on évoque la mort de l'écrivain (Un accident de voiture le 4 janvier 1960), en me procurant en collection de poche L'homme révolté, La Chute, Exil et royaume, Le Premier homme et même La mort heureuse. Des livres que je devais découvrir avant de me lancer dans cet article de blog ou plutôt ces articles (car il y en a aura sûrement deux) et même si la plupart de ces livres ne sont pas d'énormes pavés, il faut quand même un certain temps pour tout lire ou relire.
Pour être juste avec l'Obs je reprends ci-après une partie de l'introduction de Jean Daniel, le fondateur de cet hebdo et auquel l'écrivain-philosophe avait fait le cadeau de son amitié. (Jean Daniel décédé la semaine dernière à 99 ans auquel je consacrerai un billet dans quelques jours.) Dans cet extrait il répondait à la question suivante : Comment expliquez-vous les contrastes de sa postérité, du purgatoire dans lequel il est entré de son vivant jusqu'au triomphe contemporain ?
« Il ne faut pas oublier que le grand public n'a, pour sa part, jamais boudé les romans de Camus... [ ].., Ces textes incisifs à l'écriture si singulière, ont vu leurs tirages s'envoler, en France comme à l'étranger. Or ce succès mondial a contribué à déconsidérer un peu plus Camus auprès de la classe intellectuelle et philosophique... [ ]...On lui reconnaissait un talent d'écriture, mais en aucun cas on ne le considérait comme un grand écrivain. Camus n'était pas davantage reconnu comme un penseur digne de ce nom... [ ].. Pour les intellectuels dominant de l'après guerre, qui croyaient plus à l'histoire qu'en la morale... [ ]...Dans ce mépris de l'avant-garde, il y avait une forte dimension sociale. La quasi-totalité de ces intellectuels étaient de grands bourgeois qui n'ont jamais considéré ce fils d'une femme de ménage comme l'un des leurs. Camus n'avait pas fait Normal-Sup, seulement fréquenté l'université d'Alger, et on n'a cessé de lui rappelé les limites de sa culture philosophique. Nostalgique de l'Algérie qu'il avait quittée durant la Seconde Guerre mondiale, il ne s'est jamais senti à l'aise sur ce qu'il appelait la "banquise parisienne"... [ ]...Il a beaucoup souffert, surtout après la parution de L'Homme révolté, en 1951 quand Sartre et les siens se sont déchaînés contre lui. Certains ont dit qu'alors il a songé à arrêter d'écrire. Pour ma part, j'ai cru le voir baisser la tête. Mais Camus avait beaucoup d'ambition, d'orgueil et finalement de confiance en soi. Et, très vite, la vocation qui l'animait depuis le dessus à repris le dessus......»
L'Étranger est le premier roman d'Albert Camus paru en 1942 prend place dans la tétralogie que Camus nomme le cycle de l'absurde avec l'essai Le Mythe de Sisyphe et les pièces de théâtre Caligula et Le malentendu. Ce roman fut traduit en 78 langues et il est le troisième roman francophone le plus lu dans le monde.
Il met en scène un personnage-narrateur nommé Meursault qui vit à Alger. Le roman est découpé en deux parties de longueur inégales: Dans la première partie, la plus courte il apprend la mort de sa mère et se rend à ses obsèques où il ne veut pas simuler un chagrin qu’il ne ressent pas. Dans la seconde partie il se trouve malgré lui pris dans un sac d'embrouilles qui le conduit, sans l'avoir voulu, à tuer un arabe. Il est arrêté et questionné mais il ne manifeste aucun regret. Lors du procès Meursault s'ennuie et tout en répondant très franchement aux questions il s'ennuie. (Source Wikipedia)
Camus a lui même commenté son œuvre : « J'ai résumé L'Étranger, il y a très longtemps, par une phrase dont je reconnais qu'elle est très paradoxale: Dans notre société, tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort. Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu'il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société où il vit, il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c'est pourquoi des lecteurs ont été tentés de le considérer comme une épave. On aura cependant une idée plus exacte du personnage, plus conforme en tout cas aux intentions de son auteur, si l'on se demande en quoi Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple : il refuse de mentir…. »
Extrait pages 99 à 100 : « Tout de suite après mon arrestation, j'ai été interrogé plusieurs fois. Mais il s'agissait d'interrogatoires d'identité qui n'ont pas duré longtemps. La première fois au commissariat, mon affaire semblait n'intéresser personne. Huit jours après, le juge d'instruction, au contraire m'a regardé avec curiosité. Mais pour commencer, il m'a mon nom et mon adresse, ma profession, la date et le lieu de ma naissance. Puis il a voulu savoir si j'avais choisi un avocat. J'ai reconnu que non et je l'ai questionné pour savoir s'il était absolument nécessaire s'en avoir un. « Pourquoi ? » a-t-il dit. J'ai répondu que je trouvais mon affaire très simple. Il a souri en disant : « C'est un avis. Pourtant, la loi est là. Si vous ne choisissez pas d'avocat nous en désignerons un d'office. » J'ai trouvé qu'il était très commode que la justice se chargeât de ces détails. Je lui ai dit. Il m'a approuvé et a conclu que la loi était bien faite.»
Le roman La Peste fut publiée en 1947; Il commence le cycle cycle de la révolte et sera suivi par un essai L'homme révolté et par une pièce de théâtre Les justes, des œuvres qui ont permis en partie à Camus de remporter le prix Nobel de littérature en 1957. Le roman raconte sous forme de chronique la vie quotidienne pendant une épidémie de peste qui frappe la ville et la coupe du monde extérieur. L'auteur semble s'être documenté sur une petite épidémie de peste bubonique à Oran en 1945, succédant à une épidémie plus sérieuse qui avait eu lieu à Alger en 1944.
On apprend à la fin du roman que le narrateur est narrateur de la chronique est Bernard Rieux, un médecin qui lutte contre la peste; c'est un homme sensible et humaniste qui ne baisse jamais les bras. (Source Wikipedia).
Mais il semble bien que cette épidémie n'est qu'un habillage de l'histoire et que le mal que Camus présente est avant tout la lutte contre la Peste brune, la lutte contre le nazisme.
L'auteur en 1955 revendique lui même la référence à la Seconde guerre mondiale par une lettre ouverte en réponse à un critique ( Roland Barthes) qui parlait de malentendu : « La Peste, dont j’ai voulu qu’elle se lise sur plusieurs portées, a cependant comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme. La preuve en est que cet ennemi qui n’est pas nommé, tout le monde l’a reconnu, et dans tous les pays d’Europe. Ajoutons qu'un long passage de La Peste a été publié sous l'Occupation dans un recueil de Combat et que cette circonstance à elle seule justifierait la transposition que j'ai opérée. La Peste, dans un sens, est plus qu’une chronique de la résistance. Mais assurément, elle n’est pas moins. »
Extrait pages 125 à 126 : « allaient alors, disant que rien ne servait à rien et qu'il fallait se mettre a genoux. Et Tarou, et Rieux, et leurs amis pouvaient répondre ceci ou cela, mais la conclusion était toujours ce qu'ils savaient : il fallait lutter de telle ou telle façon et ne pas se mettre à genoux. Toute la question était d'empêcher le plus d'hommes possible de mourir et de connaître la séparation définitive. Il n'y avait pour cela qu'un seul moyen qui était de combattre la peste. Cette vérité n'était pas admirable, elle n'était que conséquence.
Et c'est pourquoi il était naturel que le vieux Castel mît toute sa confiance et son énergie à fabriquer des sérums sur place , avec du matériel de fortune. Rieux et lui espéraient qu'un sérum fabriqué avec les cultures du microbe même qui infestait la ville aurait une efficacité plus directe que les sérums venus de l'extérieur, puisque le microbe différait légèrement du bacile de la peste tel qu'il était classiquement défini.....»
L'homme révolté parut en 1951 a déclenché un séisme dans le monde intellectuel français. en dénonçant les excès des révolutions auxquelles il oppose les justes révoltes. En publiant cet essai Camus s'est mis à dos les penseurs proches du parti communiste, Sartre en tête. Très franchement je ne me serai pas procurer cet essai moraliste et philosophique rébarbatif si je n'avais pas lu dans l'interview de jean Daniel dont voici un nouvel extrait : «... Qand mai-68 a éclaté, huit ans après sa mort, je me suis à rêver que Camus en devienne l'icône . N'avait-il écrit dans dans Le mythe de Sisyphe : Oui, l'homme est sa propre fin. Et il est sa seule fin. S'il veut être quelque chose, c'est dans cet vie. ? C'était un slogan rêvé pour ces étudiant qui voulait " tout de suite ".[....]...Quelques mois plus tard un professeur Tchèque de littérature française, réfugié en France après l'échec du Printemps de Prague,m'a appris que Camus circulait sous le manteau en Tchécoslovaquie, que L'homme révolté était un texte de ralliement pour les contestataires. Plus tard, Kundera, Sakharov, Boulowvki et bien d'autres évoqueront la dimension libératrice de l'oeuvre de camus pour les dissidents de l'est....
L'essai se divise en cinq grandes parties, de taille inégale, qui traite de l'esprit, du développement et de l'expression de la révolte. Pour chacune je propose un extrait, assez court, m is suffisamment représentatif me semble-t-il.
Chapitre introductif (23 pages). « Qu'est-ce qu'un homme révolté ? C'est un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas...[..]... Un esclave qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce non ? Il signifie par exemple ''Les choses ont trop duré... vous allez trop loin." et encore ''Il y a une limite que vous ne dépasserez pas "...[...]...La révolte ne va pas sans le sentiment d'avoir soi-même, raison. C'est en cela que l'esclave dit à la fois oui et non...[...].. D'une certaine manière, il oppose à l'ordre qui l'opprime une sorte de droit à ne pas être opprimé au-delà de ce qu'il peut admettre.» (extrait pages 27 à 29)
Chapitre 2 (94 pages). « L'histoire de La révolte métaphysique ne peu se confondre avec celle de l'athéisme. Sous certains angles, elle se confond même avec l'histoire contemporaine du sentiment religieux. Le révolté défie plus qu'il ne nie. Primitivement, au moins, il ne supprime pas Dieu, il lui parle simplement d'égal à égal. Mais il ne s'agit pas d'un dialogue courtois. Il s'agit d'une polémique qu'anime le désir de vaincre. L'esclave commence par réclamer justice et finit par vouloir la royauté. Il lui faut dominer à son tour. (extrait page 43)
Chapitre 3 (175 pages). La révolte historique est l'unité, la revendication de la révolution historique est la totalité. La première part du non appuyé sur un oui, la seconde part de la négation absolue et se condamne à toutes les servitudes pour fabriquer un oui rejeté à l'extrémité des temps. L'une est créatrice, l'autre nihiliste. La première est vouée à créer pour être de plus en plus, la seconde est forcée de produire pour nier de mieux en mieux. La révolution historique s'oblige à faire toujours plus dans l'espoir, sans cesse déçu, d'être un jour...[....].. Pour échapper à cet absurde destin, la révolution est et sera condamnée à renoncer à ses propres principes, au nihilisme et à la valeur historique pour retrouver la source créatrice de la révolte.....». (extrait page 313)
Chapitre 4 ( 28 pages).« Révolte et Art : L'art aussi, est ce mouvement qui exalte et nie en même temps « Aucun artiste ne tolère le réel » dit Nietzsche. Il est vrai mais aucun artiste ne peut se passer du réel. (extrait page 317).»
Chapitre 5 ( 32 pages).« La pensée de Midi : Il n'a rien de commun entre un maître et un esclave, on ne peut parler et communiquer avec un être asservi ..[..].. La servitude fait régner le plus terrible des silences. Si l'injustice est mauvaise pour le révolté c'est parce qu'elle perpétue la muette hostilité qui sépare l'oppresseur et l'opprimé.»
Je confirme que mon prochain billet sera une suite de celui-ci et commencera par l'analyse de livre La Chute.