Saga Guyanaise .... L'expédition de Kourou
J'ai fait de nombreux séjours en Guyane, la plupart professionnels dans le domaine de l'ingénierie des travaux publics : Le premier était pour une durée de six mois, j'avais 23 ans, je vivais à Kourou et je travaillais en forêt pour un projet routier qui se fit pas. Ensuite je ne suis retourné en Guyane qu'en 2008 pour des missions plus courtes mais avec du temps de congé de quelques jours ou de quelques semaines en complément pour redécouvrir ce département que j'avais tant apprécié 39 ans plus tôt la première. Durant cinq ans j'ai du faire sept missions. Et puis mon dernier séjour eut lieu en juin 2014, un séjour 100% vacances pour trois semaines ; un séjour de retraité. A l'exception d'une courte mission tous ces voyages ont été faits en duo avec mon épouse qui n'était qu'une simple touriste accompagnatrice. Je connais donc assez bien la Guyane dont j'ai déjà fait sur ce blog 27 articles ..... Et pourtant je n'avais jamais entendu parler de cette « Expédition de Kourou au XVIIIe siècle » avant 2008. J'ai découvert cette dramatique histoire dans le 1er volume de l'Histoire de la Guyane de Bernard Montabo publié en 2004 que j'ai acheté en septembre 2008 à Cayenne.
Au printemps de l'année suivante j'ai trouvé à La Rochelle un roman intitulé « Kourou le rêve brisé » ; l'auteur Roger Altiéri, qui était présent, fut surpris de rencontrer quelqu'un qui avait vécu à Kourou et qui venait tout juste de découvrir cette histoire. Il nous a d'ailleurs fait une dédicace très sympathique.
Enfin l'an dernier en mars 2019 j'ai acheté le magazine Géo-Histoire Les Antilles où j'ai trouvé un très intéressant article intitulé « Kourou : aller simple pour l'enfer » un article signé Marine Dumeurger qui fait référence à un ouvrage de la chercheuse Marion Godfroy, « Kourou 1763. le dernier rêve de l'Amérique française.»
Par contre je n'ai pas trouvé d'article sur ce sujet dramatique dans les magazines semestriels « Une saison en Guyane » que je conserve ; mais je ne les pas tous et puis la série continue... ( Juste une petite référence en page 93 du hors-série 6 de septembre 2019)
Pour construire mon article j'ai surtout retenu l'article de Marine Dumeurger de Géo Histoire en l'allégeant quelque peu afin d'apporter quelques compléments provenant notamment de l'ouvrage de Bernard Montabo.
En 1763, la France sort de sept ans de conflit avec l'Angleterre. Elle vient de signer le traité de Paris et perd une bonne partie de son empire, notamment aux caraïbes. Elle ne conserve que la Guadeloupe, Marie-Galante et Sainte-Lucie. Un homme en particulier accepte mal cet échec, c'est le duc de Choiseul, le secrétaire d'État aux affaires étrangères, à la marine et aux colonies de Louis XV. Il sait qu'il ne pourra trouver une revanche sur le plan militaire, aussi a-t-il penser à damner le pion aux Anglais sur un autre terrain, le peuplement. Choiseul imagine alors une colonie, libre d’esclaves..[....]... et imprégnée de l'esprit des Lumières.
Depuis quelques mois déjà, Brûletout de la Préfontaine, un notable commandant de la Guyane
du nord envoyait des notes à son ministre où il suggérait de peupler d'européens ce territoire pour espérer son développement (La Guyane comptait alors un peu moins de 8000 habitants). Le projet était modeste avec seulement une centaine d'émigrants volontaires pour commencer, effectif qui pourrait en suite augmenter en fonction du succès du premier contingent. Après l'humiliation de la défaite, Choiseul reconsidère très favorablement la proposition du représentant de la France en Guyane, mais alors il n'est plus question de jouer petit bras. Il veut désormais envoyer dans cette colonie d'Amérique au moins quinze mille émigrants. La logistique à mettre en place est considérable. Etienne François Turgot est nommé gouverneur de la colonie et Jean-Baptiste Thibault de Chanvallon son intendant.
Par crainte de dépeupler la France, Choiseul décide de recruter principalement à l'étranger, notamment dans les terres pauvres de Rhénanie-Palatinat..[...] Afin de l'aider, Choiseul sort de prison Jean-Frédéric Rollwagen, accusé d'avoir facilité le départ d'Alsaciens en Sibérie quelques années plus tôt..... [ L'homme se met au travail réactivant ses réseaux] .... en s'appuyant sur une propagande parfaitement orchestré. Ces promesses attirent rapidement une population miséreuse. : fuyant leurs conditions de vie dans l'ouest de l’Allemagne, ils sont près de 17000 à se mettre en route vers la Charente et l'Atlantique... [...]...Dans son recrutement, Rollwagen a pris soin de varier les profils, faisant appel à une majorité de laboureurs, mais aussi de médecins, des maçons, des boulangers, pour que rien ne manque au sein de cette colonie idéale. Afin d'attirer les étrangers, il a renoncé à une religion imposée..[...].... A saint Jean d'Angély, le point de chute, situé à 70 kilomètre de La Rochelle, on célèbre les mariages jusqu'à une trentaine par jour mais on doit aussi prévenir les querelles et rixes avec ces nouveaux venus qui souvent ne parlent pas français.
Au printemps 1763, les migrants attendent de pied ferme le départ vers la terre promise. La plupart ont entre 20 et 30 ans et sont originaire des plaines du Rhin même si des Suisses, Italiens, Autrichiens etc... se sont joints au convoi. Quand au Français ils viennent surtout du Poitou-Charentes. Ce sont eux qui achèteront les terres et y feront travailler les étrangers.
[...] Cette histoire est parfaitement évoquée dans les quatre premiers chapitres du roman de Roger Altieri avec l'arrivée en Charente de son personnage l'alsacien Jean Daniel Freigyacq.]....Mais personne ne se doute que déjà, de l'autre côté de l'Atlantique, le projet est mal amorcé. Sur place Brûletout de la Préfontaine doit préparer l'installation. Il hésite encore sur l'endroit où fonder la colonie. Il choisit finalement d'occuper des anciennes missions jésuite à Kourou où une vingtaine de maisons, un hôpital, une caserne sont déjà bâtis....
.... Avec aussi, un peu plus loin, un campement sommaire à Sinnamary.
Les travaux avancent péniblement et on peine à loger les premiers colons qui débarquent en juillet 1763, l'argent fait défaut. Au fil des arrivées les camps se remplissent et faute de place, on finit par les contenir à bord, avant de les débarquer sur une île. Rapidement l'intendant Thibaut de Chanvallon alerte Choiseul...[...]...mais la lointaine métropole tarde à recevoir le courrier.
D'autres convois se succèdent à cadence rapide ; entre décembre 1763 et février environ 9000 personnes débarquent. Sur près de 12.000 immigrants, 7000 auront péri fin 1765, 3000 seront rapatriés, en plus ou moins mauvaise santé, et 1800 choisiront de rester dont moins de la moitié de ces derniers s'installeront définitivement. Ces survivants sont presque tous des gens qui ont été déplacés sur les îles du Diable, au large de Kourou. La situation y est idéale, loin des moustiques et des miasmes des marais de la côte, exposée aux alizés au sein d'une eau claire. La vie de beaucoup en sera sauvée, la santé de la plupart préservée, même s'il y eut encore des morts. Les îles du Diable en garderont définitivement le nom des îles du Salut. Jean Daniel le héros du roman de Roger Altiéri sera l'un de ces survivant ayant bénéficié d'un déplacement aux îles du Salut.
A Versailles, Choiseul veut mener coûte que coûte à bien son projet et souhaite des départs tous les quinze jours sans savoir qu'une épidémie se répand à Kourou. Arrivé à Cayenne, un médecin décrit une « fièvre aiguë accompagnée de vomissement noirs et sanguins qui emportent en moins de cinq jours. »...[....]... Sur place, on manque de tout pour soigner les malades. L'hôpital est prit d'assaut. Les décès sont si nombreux qu'on interdit de sonner le glas.... [...]... Resté en France dans son château normand, le gouverneur de Guyane, le chevalier Etienne-François Turgot, pressé par Choiseul, se résout finalement à visiter la colonie. Débarqué en décembre 1764, il dépeint une situation cauchemardesque. Chanvalon, impuissant supplie que l'on cesse de lui envoyer des colons avant de tomber lui-même malade. Devant l'échec de l'entreprise, Turgot rentre finalement avec des survivants au printemps 1765. A l'étranger comme en métropole, on se moque de ce fiasco.
Il fallait des coupables: Turgot se défaussa sur son intendant. Thibaut de Chanvallon, l'intendant, fut jeté en prison avec quelques-uns de ses subordonnés. Etienne François Turgot, le gouverneur put se retirer sur ses terres, en exil. Chavallon réussit à s'en sortir quelques années plus tard, innocenté en 1781 seulement en y laissant sa santé. Brûletout de Préfontaine, inquiété un temps, s'installa sur ses terres de Kourou.
Le sort des hommes ne remua guère les prétoires; seuls les milieux coloniaux s'intéressèrent à l'affaire. La vie humaine dans les colonies était brève.
L'argent frappa plus les esprits : des dizaines de millions de livres étaient sorties en pure perte des caisses bien malades de l'Etat, vers une destination imprécises pour beaucoup.