Didi résistant (1)
Comment Geneviève et Marcel ont-ils été informés ? Par la gendarmerie française? Par les allemands? Directement
par la grand-mère de Civry sur Serein ? Leur fils André, Didi pour tous, ce gamin de 18 ans, a été arrêté par les allemands dans l’Yonne.
Avaient-ils reçu sa dernière lettre du 7 juin, et, si oui, l’avaient ils bien comprise ?
Avaient-ils reçu sa dernière lettre du 7 juin, et, si oui, l’avaient ils bien comprise ?
Chers Parents : J’ai appris ce matin à 9
H que les anglais avaient débarqué en France. Je ne pourrai certainement pas rentrer à Paris ; au contraire je vais faire un tour dans la
campagne et je ne sais quand je pourrai vous revoir. N’ayez pas peur pour moi ni pour grand-mère, elle a ce qu’il faut. Je vous quitte en vous
embrassant bien fort et que Dieu vous protège. Votre fils André
Dès l'annonce de l'arrestation Marcel a quitté, précipitamment, Champigny et s’est rendu dans l’Yonne pour
essayer d'avoir des précisions et bien sûr informer le plus tôt possible sa femme.
Civry le 13 juin 1944. (17 H.)
Civry le 13 juin 1944. (17 H.)
Ma chère petite Geneviève,
Le voyage s’est bien passé, et en place assise. Je suis arrivé à
5 H du matin à Nuits - Ravières, puis j’ai pris la route en vélo pour faire mes 45 km. En passant à Montréal, j’ai eu des détails sur l’affaire d’André, et apprenais qu’il était à Auxerre et non à
Avallon.
Avec lui il y a un autre jeune, puis M. L. le garagiste et une jeune fille. Comme je
n’étais plus qu’à 12 km d’Avallon, j’ai continué dans cette direction, puis j’ai enquêté auprès de la
gendarmerie Française, et me suis rendu à la Kommandature où, un interprète et un lieutenant m’ont reçu. Là commençait l’instruction de l’affaire. Ils me dirent l’avoir arrêté dans le bois
d’Annoux, non armé, mais comme dissident.
Je repris donc la route pour Civry, vu qu’il n’y avait pas de train pour Auxerre, en
passant par L’Isle, pour voir Mme L. ou le père de la jeune fille arrêtée elle aussi. Ces derniers venaient de partir pour Auxerre, ce qui m’oblige à redescendre ce soir à l’Isle afin des
les voir et avoir des renseignements. Il y aurait, parait-il, trois personnes arrêtées ensemble dont L. ….mais ils sont invisibles pour toutes visites, car ils sont en prévention. En tout cas
j’irai demain à Auxerre porter un paquet de vivres et linges, puis voir un avocat Me R., seul autorisé à voir les détenus et à préparer leur défense. D’après les dires André aurait été torturé
sauvagement afin de le faire causer.
J’arrête d’écrire pour descendre à l’Isle et selon ce que j’apprendrai je te donnerai
d’autres détails.
Le
14 juin à 7 H 30
Je suis rentré tard hier soir ; j’ai du attendre le retour de Mme L. et la mère de la
jeune fille. Il en résulte qu’ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour voir leur prisonnier, mais il est impossible de les voir car tout est allemand ; tout ce qui était personnel français
a disparu. Il reste possible de porter du linge et accessoires de toilette mais pas de vivre ; pour le moment.
En tout cas je pars à 9 H
par la micheline jusqu’à Chablis, puis je ferai le restant en vélo pour Auxerre d’où je ferai partir cette lettre qui j’espère arrivera avant moi, car je reviens
ici demain et ne rentrerai que samedi.
Hier j’ai entendu beaucoup de commentaires sur André ; même le père de la jeune fille
d’Annoux qui après l’arrestation des jeunes a été visité par une compagnie : tout chez lui a été pillé, saccagé, mais dans cette triste affaire André y est pour beaucoup. Même le père m’a
dit de faire attention en allant à la prison car l’entourage des prisonniers est très surveillé.
Je lui porte quelques affaires qu’il a laissées ainsi que serviette et papier pour
écrire….car tout le restant est dans son sac qu’il a du abandonner.
Je vais voir l’avocat et lui donner les indications sur les pièces qu’il avait afin de
constituer son dossier et justifier qu’il n’était dans la région que depuis 3 jours avec sa grand-mère.
Ta mère t’embrasse bien ainsi que tous ; quant à moi je te donnerai tous les détails
dès mon retour. Je t’embrasse bien fort et te dis à bientôt.
Cette lettre déconcerte quelque peu ; on sent dans ces lignes que le père ne comprend pas bien ce qui s’est
passé ; pourquoi a-t-il laissé le gamin partir avec la grand-mère pour Civry et se mettre dans cette galère. Il avait bien entendu dire, l’été précédent, que Didi traînait ici et là, mais
jamais il n’avait découché et puis dormir à la dure et se lever aux aurores ce n’était pas trop son truc au gamin. Alors le laisser accompagner, cet été encore, sa grand mère à Civry c’était à
priori une bonne idée d’autant que l’usine où il travaillait à Bagnolet, usine qui faisait des pièces détachées pour les camions allemands, venait de fermer ses portes. De plus il fallait
l'écarter de Champigny, de ses fréquentations, de cette bande de jeunes qui ne rêvait que d'en découdre avec les "boches"; même à l'usine de Bagnolet il y avait eu des actes de sabotages et
les soupçons pesaient sur lui et son copain Dédé....C’était donc plutôt une bonne idée cet été, au vert, en Bourgogne.... de là à penser que le gamin irait rejoindre un maquis….mais
Marcel ne devait sans doute pas savoir qu'au cours ces derniers mois la lutte et la répression avaient été terribles dans la région,......et cette guerre qui n’en finissait pas et Roger,
le fils aîné, qui était en Allemagne et duquel il n’avait pas de nouvelles depuis belle lurette….et maintenant les américains qui débarquent.
Pourtant Marcel avait été soldat en 1917 et 1918 et lui-même à l’époque n’avait pas 20 ans. Maintenant il lui faut
arriver à sortir le gamin de là…..il s’apercevra vite qu’il ne peut guère compter sur l’avocat désigné qu’il rencontrera à 2 reprises. Il essaiera bien lors de la 2èmerencontre en
apportant le témoignage d’une jeune fille, Lina, qui avait un peu travaillé dans l’entourage de la famille quelques années plus tôt et qui, depuis quelques mois, travaillait à la Kommandatur de
Champigny. Lina était d’origine italienne et ses parents et frères étaient dans le milieu italien des propagandistes de Mussolini. Lina pouvait témoigner que Didi quelques jours avant son
arrestation était avec elle…il ne pouvait donc pas être un terroriste de l’Yonne. L’avocat a bien voulu, laisser entendre que ce témoignage pouvait, peut être, être utile…..mais ajouta t-il,
« en ce moment, avec les américains qui ont débarqué, vous savez les allemands ne font pas trop dans le sentiment ».
Marcel s’obstinera et envisagea de faire passer un billet à Didi
Ça fait 2 fois que je viens pour te voir et on m’empêche. Tu vas bientôt être
interrogé : Rappelle toi que c’est la curiosité qui t’a attiré dans cette affaire.
Nous sommes bien attristés. Ta mère et ta grand-mère pleurent tous les
jours.
Nous t’embrassons tous bien fort. Ton père bien affecté. Marcel.
Ce billet n’a pas été transmis puisque je l’ai retrouvé.
Geneviève et Marcel auront, enfin, les premières nouvelles de leur fils, début juillet, grâce à une lettre que leur
envoya la maman de la jeune fille arrêtée en même temps.
Annoux
le 30 juin 1944
Madame
Je vous remercie de votre aimable lettre et vous prie de croire que je n’en ai jamais
voulu à votre fils du malheur qui nous est arrivé. Ma fille supporte avec courage le dur séjour à la prison d’Auxerre. J’ai eu le grand bonheur de la voir hier et de lui parler durant 20
minutes trop courtes hélas !
Mardi dernier j’avais fait un petit colis pour votre fils mais il n’a pas été
accepté ; j’ai pu obtenir une autorisation pour mardi prochain. Nous irons donc chercher un peu de linge chez sa grand-mère à Civry, et avec quelques vivres nous lui ferons un petit paquet
pour mardi.
D’autre part vous pouvez lui écrire quelques lignes, pour lui donner de vos nouvelles,
adressées à la Maison d’arrêt Auxerre. Vous pouvez joindre une feuille et une enveloppe timbrée ; ainsi vous aurez quelque chance d’avoir directement des nouvelles.
J’ai bon espoir que, bientôt notre calvaire s’achèvera et que nous aurons le bonheur de
revoir nos enfants. Ayons du courage et de la patience et supportons vaillamment la dure épreuve qui nous est infligée.
Croyez, madame, à mes sentiments respectueux. A. B..
Geneviève écrit aussitôt à son fils,
Champigny le 4 juillet 1944
Mon pauvre petit cette lettre te parviendra
t-elle ? Je l’espère, je tente ma chance.
Il y a 3 semaines quand nous avons appris ton arrestation, ton papa est parti
immédiatement pour Auxerre et a remis, pour toi, un petit colis de vêtements, mais interdiction de t’écrire. C’est sur les conseils de Mme B., la maman de la jeune fille, qui a été arrêtée avec
toi, que je t’écris, car elle a eu la permission de voir sa fille, quelques instants et elle m’écrit qu’elle a obtenu la permission de te porter un petit colis. Quels braves gens et comme je
les en remercie.
Sois courageux mon petit, je prie sainte Thérèse tous les jours et je suis sûr qu’elle
m’exaucera et que tu seras bientôt libéré ; mais il faut prier aussi, bien que tu ne saches plus beaucoup tes prières. J’ai fait un vœu pour toi pour ta sortie ; il faudra le
tenir.
Nous avons eu bien du chagrin tous, de ce qui est arrivé et si j’avais pu prévoir, c’est
moi qui aurait été conduire ta grand-mère ; enfin le mal est fait et il n’y a pas à y revenir, mais c’est bien triste. J’espère que l’on va reconnaître ton innocence et que tu seras
bientôt libéré. Tous tes camarades de l’usine t’attendent car le travail a repris en grand. Ils te souhaitent tous le bonjour.
Encore une fois mon petit courage et espoir.
J’ai écrit à Roger, en Allemagne, ce qui t’est arrivé, mais il ne doit pas encore avoir
reçu ma lettre. Le pauvre garçon va se faire du mauvais sang.
Je t’embrasse de tout cœur de la part de grand-mère et
papa.
Ta maman Geneviève.
Je ne sais pas si Didi eut cette lettre en prison, et je ne sais comment elle a pu être retrouvée ; le plus
vraisemblable étant que mes grand-parents faisaient un double de leur correspondance….. que de contrition dans cette lettre « le mal est fait » …mais sachant
qu’elle serait lue par les allemands que ne ferait-on pas comme acte de contrition pour sauver son enfant ? Ce qui me gêne le plus, avec le recul, c’est que dans ma mémoire
(mais j’étais alors très jeune car, hormis Didi, tous les membres de la famille sont décédés entre 1954 et 1962.....et peut-être que cette vision, ces souvenirs d'enfance me laissent,
aujourd'hui, une fausse opinion ) les souvenirs de réunions de famille d'après guerre, dans le cadre strict et bourgeois du pavillon des bords de Marne au Tremblay confortent
cette apparente faute, cette contrition ; ce gamin , par son aventure extravagante, égoïste, a surtout fait peur et beaucoup de peine à ses parents. J’ai rarement perçu un quelconque
respect pour son courage et même si la famille était quelque peu conservatrice, comme beaucoup d’autres, les autres justement furent plutôt heureuses de se trouver un héros, même de la dernière
heure, pour gommer une attitude trop réservée sous l’occupation….Chez nous, pour peu que je m’en souvienne, il n’y eu rien de cela; non au contraire; la suite dans l'armée de Delattre, la
campagne d'Allemagne, ça oui un peu ....sans trop car c'était le prolongement de l'aventure, mais ces 3 mois de chagrins, de peurs, il fallait les oublier, effacer le
cauchemar et donc minimiser tout ce qui l'a provoqué....du moins me semble t-il.
Didi lui-même, depuis que je fouille un peu sa mémoire, depuis que j’essaye de lire entre les lignes ces lettres, et sachant que je veux mettre par écrit son histoire, n’arrête pas de me dire « ne fais pas de moi un héros, tu sais tout ça est arrivé un peu par hasard...... ». Pas complètement d’accord, tonton : depuis quelque temps je cherche sur Internet ce que furent les maquis Garnier et Verneuil, dont tu as été, et j’ai même retrouvé sur le blog « notre temps » certains de tes commentaires (je connais ton pseudo) et tout cela recoupe bien ce que je commençais, tardivement, à comprendre. Cette histoire, confirmée par des témoignages retrouvés, je la raconterai prochainement avant le 23 août date anniversaire de ton évasion de la prison d’Auxerre, l’été 44, il y a 63 ans.
Didi lui-même, depuis que je fouille un peu sa mémoire, depuis que j’essaye de lire entre les lignes ces lettres, et sachant que je veux mettre par écrit son histoire, n’arrête pas de me dire « ne fais pas de moi un héros, tu sais tout ça est arrivé un peu par hasard...... ». Pas complètement d’accord, tonton : depuis quelque temps je cherche sur Internet ce que furent les maquis Garnier et Verneuil, dont tu as été, et j’ai même retrouvé sur le blog « notre temps » certains de tes commentaires (je connais ton pseudo) et tout cela recoupe bien ce que je commençais, tardivement, à comprendre. Cette histoire, confirmée par des témoignages retrouvés, je la raconterai prochainement avant le 23 août date anniversaire de ton évasion de la prison d’Auxerre, l’été 44, il y a 63 ans.
(à suivre…)
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