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A livre ouvert......Interviews d'outre-tombe.

25 Février 2012 , Rédigé par daniel Publié dans #à livre ouvert

Il y avait peu de chance que ce petit livre et moi nous nous rencontrions et pourtant c’est arrivé et j’en suis très heureux ; au point que je me sois plongé et replongé dans sa lecture tout au long de la semaine, trouvant à chaque fois de nouvelles surprises.

 

De retour d’un voyage au Mexique j’arpentais, ce samedi 18 février, les rayons de la librairie des halles à la recherche de quelques nouveautés qui complèteraient mon stock de livres non lus.  Je dois déjà être à la bourre d’une bonne douzaine de bouquins et je continue à faire des réserves. En fait je voulais surtout racheter un polar, celui de Paco Ignacio Taibo que j’avais commencé en voyage et que j’ai offert à notre sympathique et lettrée guide, qui n’avait jamais entendu parler de cet auteur mexicain. J’étais dans la partie de la librairie réservée aux polars et aux romans fantastiques et science-fiction, quand mon oreille indiscrète a surpris une curieuse conversation entre un auteur qui était là pour dédicacer son dernier ouvrage et une dame enthousiaste qui l’avait acheté après avoir entendu une émission de France–Culture. Les noms de Molière, Villon, Charles d’Orléans étaient cités…. Je me demandais si l’auteur était installé dans la bonne salle ? Eh bien finalement oui !  « Interviews d’outre-tombe » est manifestement un titre de nouvelles fantastiques.

 

livre-j-pintoux1[1]

 

M’écartant un peu des débatteurs, je pris le livre pour en savoir un peu plus. Le sous-titre de l’ouvrage « confession des classiques du Lagarde et Michard » était aussi nostalgiquement tentant car, comme beaucoup sans doute, j’ai toujours chez moi, les six tomes de référence ; probablement des manuels scolaires de mes enfants même si je les ai aussi étudiés de mon temps, il y a……. prescription ! Les quelques lignes que je lus rapidement, dont la préface et les extraits au dos de la couverture, attisaient ma curiosité et m’incitaient à acheter ce livre. Après tout, 200 pages, 77 interviews fictives ce n’était pas la mer à boire…. Et puis il y avait aussi ce drôle de mot qui emporta la décision : « Uchronie » Quèsaco ? Il était temps que le vieux ‘’bétonneux’’ néo-retraité, s’instruise un peu.

 

L’auteur Jérôme Pintoux, enfant du pays niortais, ancien professeur de lettres, par la dédicace qu’il me fit, m’invitait à lui dire quels auteurs ces interviews m’ont donné envie de lire ou de relire. Il m’a laissé son adresse mail mais je préfère développer mon propos par l’intermédiaire de ce blog, même de façon maladroite, ce dont je vais, bien évidement l’informer, au risque d’être mal noté par le professeur. Je prends un sacré risque mais « J’ai voulu préciser d’où je venais» comme disait Marie de France, interviewée à Londres, à la cour d'Angleterre, en 1165.  (p. 51 à 53)

 

Dès le début d’après-midi  je commençais la lecture de ces interviews et je relevais immédiatement une petite arnaque : Il n’y a pas tant de classiques du Lagarde et Michard que ça. D’abord avec un chapitre « Antiquité » où l'on trouve 18 interviews de poètes et écrivains grecs et romains ignorés par le bottin littéraire. D'autre part je serais assez étonné que tous les autres auteurs, parmi les ‘’nationaux’,’ aient été référencés ou même nominés par les anciens profs des lycées Louis le Grand et Henry IV. Je pense même, sans avoir fait un compte d’apothicaire, que les « michardiens lagardistes » sont minoritaires dans ce livre…… mais ce n’est pas bien grave. Je ne suis pas en train de chercher des poux dans la tonsure, pour railler façon Bloy (p. 201) ou Donatien Marquis de Sade (p.134).

Peut être ai-je été plus gêné que Flaubert, qui m’a gonflé quand j’étais obligé de lire vers 16-17 ans ses quatre prétentieux bouquins, soit interviewé trois fois en oubliant Sand et Maupassant avec lesquels il eut des correspondances beaucoup plus intéressantes que ses laborieux romans. Idem pour Jules Verne (4 interviews), pourtant un merveilleux souvenir d’enfance et de jeunesse et  pour Zola (2 interviews),  dont je relirais bien, encore et encore, l’ensemble des « Rougon-Macquart » si je savais laisser du temps au temps…« Le temps ! Voilà l'ennemi ! » affirmait  Baudelaire (p.164)

 

Après cette première lecture j’ai fait un peu connaissance avec l’auteur et par mes recherches sur internet je me suis rassuré ; ce livre n’est qu’un début car M. Pintoux  aurait sous le coude plus d’un millier d’interviews  Dans la « Charente libre » il annonce qu’un nouveau volume sera consacré aux auteurs du XXe siècle et qu’il commence à travailler à un livre plus régional. Il faudra patienter un peu avant de pouvoir lire (peut-être) des écrivains comme Aymé, Aragon, Camus, Gary, Malraux, Sartre, Yourcenar ou encore Simenon et Ernest Pérrochon.  

 

Puisque j’en suis à faire une parenthèse sur l’auteur il me faut aussi mentionner un article élogieux de la Nouvelle République.

http://www.lanouvellerepublique.fr/Deux-Sevres/Loisirs/Livres-cd-dvd/n/Contenus/Articles/2011/11/29/Jerome-Pintoux-interviews-post-mortem#

Et je dois fournir le lien avec le site de France culture de l’émission «  tire ta langue » :

http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4357843

L’auteur explique comment il fait semblant de rencontrer des grands hommes du passé, façon Bernard Pivot, en leur posant des questions qui lui seraient venues si effectivement il avait pu les rencontrer. Il fut étonné de constater que ces questions qu’il posait à l’autre lui-même pouvaient entraîner de sa part des réponses spontanées  qu’auraient pu faire les illustres personnages. Ces réponses entre lui et lui-autre pouvant être selon l’ambiance qu’il arrive à créer, humoristiques, caustiques, hostiles, complices, pédagogiques. Drôle de jeu qui ne laisse pas indifférent quel que soit le niveau d’intimité obtenu.

 

Il est temps maintenant de fournir, en bande-annonce,  quelques courts extraits du livres ; Tout d’abord les interviews qui m’ont attiré dès la première lecture. :

Interview d’Ovide rencontré une première fois sur les rives du Pont-Euxin en l’an 15 après .J.C. et recontacté, plus tard, en faisant tourner les tables. Extraits en vrac (p. 27 à 31) :

« Pensez-vous que les poètes français vous aient pillés ? » « Disons que je les ai inspirés. Au XVI e siècle, un dénommé du Bellay, dans ‘’ses regrets’’ s’est inspiré de ‘’mes tristes’’, mes poèmes d’exil.  Mais lui était à Rome. Il n’a pas connu l’ennui des rives du Pont-Euxin. »

«Io a inspiré Brassens – Une jolie fleur dans une peau de vache— et les cruciverbistes »: « Là, vous poussez le bouchon un peu loin ! »

Interview de Molière, à l’occasion des Fourberies de Scapin, de l’Avare et des femmes savantes  en 1672. Extraits en vrac (p.95 à 100)

«Molière, dans les fourberies de Scapin, Géronte veut déshériter son fils parce qu’il a contracté un mariage clandestin. S’agit-il d’un passage autobiographique ?... »:« L’habile fourbe que voilà ! Je ne souhaite pas répondre à cette question par trop indiscrète. Ma vie ne vous regarde pas. Pas plus que les rapports avec mon père……»

« Scapin est de cette lignée de domestiques voleurs, insouciants, désinvoltes ?»: « Il a tous les défauts du monde, mais il reste fascinant… dans les ‘’Fourberies’’, Géronte dit ‘’Je te promets cet habit –ci quand je l’aurai un peu usé’’.»

« C’est une réflexion digne d’Harpagon ! C’est un vieil avare, lui aussi…. Votre père était-il avare lui aussi… ?»: « Je vous ai dit que je ne répondrai à aucune question d’ordre autobiographique. Cessons là, monsieur cette discussion»

« Je vous prie de m’excuser… . Ne vous fâchez pas… Comment définiriez-vous Harpagon»: « C’est un ladre : Il est aussi beaucoup trop autoritaire !»

 « Trissotin dans les femmes savantes est un pédant imbu de lui-même ?»: « Oui, un faux écrivain, le genre que je déteste. C’est un vantard, un flatteur, un orgueilleux. Il a tous les défauts.»

« Qui visiez vous particulièrement ? Nicolas Boileau ?»: « Je ne vous répondrai pas. Nicolas Boileau n’a guère été tendre avec moi. Mais je ne suis pas vindicatif pour autant. Et je ne fais pas de délation. Les cuistres courent les rues ces temps-ci, ils se reconnaîtront aisément. »

Interview de Voltaire en 1767. Extrait (p.121 et 122)

«Comptez-vous vous réconcilier avec Jean-Jacques Rousseau ? »: « Certainement pas ! Mes ennemis, je les couvrirai d’opprobre dans la postérité.»

Interview de Rousseau en 1769. Extrait (p.123 et 124)

«Voltaire vous traite de vérolé»: « Calomnies. J’ai juste eu des problèmes urinaires. Mon visage n’est point grêlé..»

Interview de Léon Bloy en 1894. Dans une pauvre maison du vieux Montmartre Extraits (p.201 à 203)

«Vous êtes un écrivain catholique comme Veuillot, Drumont ?»: « Je n’ai rien à voir avec ces gens-là ! Des poux de lettres Vous semblez m’associer à Veuillot, Drumont et quelques autres charognes dont la sainte Eglise est empuantie..»

«Et les souvenirs d’enfance et de jeunesse de Renan, voilà une œuvre importante, non ?»: «Peuh !…. Les bafouillages du gros Ernest.»

 

Les lectures suivantes, en secondes lectures, parfois plus, furent plus travaillées car je dois bien avouer que l’ignare que je suis ne connaissait pas ou très peu un grand nombre des personnages questionnés, il me fallait donc rechercher sur ‘’Wikipédia’’ ou autres qui étaient les gugusses en question, dont le nom me disait vaguement quelque chose. C’était évident pour beaucoup d’écrivains du chapitre « Antiquité » ce fut encore un peu vrai pour les chapitres suivants. Ainsi je n’ai jamais rien lu de Léon Bloy, qu’il me faudrait peut-être découvrir pour ne pas mourir idiot. Un anarchiste polémiste de droite, lit-on ici et là à son sujet. Après tout j’aime bien Marcel Aymé, et même « le Voyage » de Céline alors pourquoi pas….mais quoi ? Il ne semble pas avoir écrit beaucoup de romans.

Je dois avouer n’avoir jamais entendu parler de Béroul auteur de la première version de « Tristan et Yseult », de Noël de Fail auteur de « Propos rustiques », d’Etienne Jodelle......  «Que voulez vous personne n’est parfait ….  »  disait Baudelaire (p.162), mais au moins je me suis agréablement instruit.

 

Dans le chapitre « Antiquité » ce qui m’a le plus étonné c’est la cohérence entre les interviews fictives et les informations que je recueillais sur Plaute, Caton, Polybe, Cicéron, Lucrèce, César, Horace, Virgile, Ovide, Phèdre, Tacite, Suétone, Juvénal , Apulée…. etc.… Encore un chapitre très instructif. A noter que Pintoux-Pivot ne porte pas chance à ces personnages puisqu’il les a, presque tous interrogés, au cours de leur dernière année de vie.

Interview de Caton en 150 avant J.C  Extrait (p.13 et 14)

«Romulus fut-il un bon roi ?»: « Romulus fut un tyran, d’abord parce qu’il tua .son frère, son aîné de surcroit » (et moi qui croyais qu’ils étaient jumeaux.)

Interview de Polybe historien grec en 121 avant J.C  Extrait (p.15 et 16)

Pour faire passer les éléphants par les alpes «Hannibal a-t-il fait exploser les rochers à l’aide d’une préparation à base de vinaigre ? »: « Sornette que tout ça….! »

Interview de Cicéron  en 68 avant J.C  Extrait (p.17 et 18)

«Et la décoration de votre villa de Caïete ?»: «Ce sera pour quand je serai richard…»

Interview du poète Horace  en 23 avant J.C  Extraits (p.23 et 24)

«Croyez vous que votre œuvre vous survivra ?»: « J’ai achevé un monument plus durable que le bronze, plus haut que la royale architecture des Pyramides et que ne sauraient détruire ni la pluie rongeuse, ni l’Aquilon emporté, ni la chaîne innombrable des ans, ni la fuite des âges…»

« Bonjour les chevilles, alors ?»: « Je ne vois pas ce que vous voulez dire…»

Interview de Tacite  en 97 après J.C  Extraits (p.34 et 35). 

« Comment est mort Agricola, le conquérant de la Bretagne »: « Il s’est fait empoisonner. Il faut vénérer sa mémoire.»

« C’était votre beau-père ? »: « C’était surtout un grand capitaine et un administrateur hors pair.»  Agricola aurait été assassiné sur ordre de l’empereur Domitien.

 

J’ai aussi beaucoup aimé les interviews où l’auteur se coule dans le style de l’écrivain ou de l’époque. J’aime bien aussi, et au contraire, quand il donne un coup de jeune au classicisme de l’interviewé notamment par le biais d’anachronismes de vocabulaire.

  Interview du poète Charles d’Orléans lors de sa captivité en Angleterre au Printemps 1439. Prisonnier depuis Azincourt, depuis 24 ans (Extraits p. 65 à 67).

« Comment vous portez vous monseigneur ? »: « Nouvelles ont couru en France par maints lieux que j’étais mort, ce dont avaient peu de déplaisance ceux qui me haïssent à tort…» « Pourquoi n’écrivez vous plus »: « Car ennuis et pensées maintes m’ont tenu longtemps endormi. Mais j’aimerai bien essayer de rimer comme l’en avais l’habitude. J’espère que ça va revenir..»

Interview du poète François Villon en en 1456 dans l’arrière salle d’une taverne du quartier latin. (Extraits p. 68 à 69).

« J’aime beaucoup votre ''Ballade des dames du temps jadis''… »: « Jeanne, la bonne Lorraine, qu’Anglais brûlèrent à Rouen ..»

« Et aussi Blanche de Castille… »: « La reine blanche comme lis qui chantait à voix de sirène…. Mais ce n’est pas Blanche de Castille ….»

« Alors de qui s’agit-il ? »: « Je ne le vous dirais pas.»

Interview de Jean de La Fontaine  en en 1678. (Extraits p. 101 à 102).

« Dans les animaux malade de la peste, le lion est un personnage au dessus de tout soupçon ? … »: «Il fait semblant d’être dans la même situation que les autres, alors qu’il est au dessus des lois. »

« Vous n’avez pas peur que le roi en prenne ombrages ?  »: « Peuh, il ne me lit même pas ! Il me considère comme du menu fretin ….»

Interview de La Bruyère en en 1690. (Extrait p. 107 à 108).

« Vous trouvez bizarre l’être humain  ? … »: «Nous cherchons notre bonheur hors de nous mêmes et dans l’opinion des autres que nous connaissons flatteurs, peu sincères, pleins de caprices et de préventions ….. Quelle bizarrerie !»

Interview de Donatien Marquis de Sade en 1804. (Extraits  p.133 à 134).

« Pourquoi avez-vous rangé Chateaubriand parmi les ‘’suppôts’’ de la tonsure?  »: «  Parce qu’il a écrit ‘’Le génie du christianisme''. Je n’aime pas les fanatiques. »

« Mais votre athéisme vire parfois à l’intolérance ?»: « Fi donc ! N’importe quoi !..»

Conversation à bâtons rompus avec Chateaubriand en 1841. (Extraits p.142 à 144). « Le marquis de Sade vous range parmi les  ‘’suppôts’’ de la tonsure? »: « Pas mal. Il avait de l’humour celui-là. Mais c’était un suppôt de Satan. »

Et suite à une description de ses conditions de vie d’enfant solitaire et sauvage :

« Bonjour l’ambiance ! »: « Oui, c’était plutôt folklo »

Interview d’Honoré de Balzac en en 1843. (Extrait  p.145 à 147).

« Vous avez l’air de détester la presse … »: « je la déteste et je la crains. Elle commence à avoir tellement de pouvoir la fatale puissance de la presse. »

Interview d’Alexandre Dumas en en 1844. (Extrait  p.148 à 149).

« Quelle conception vous faites-vous de l’histoire ? … »: « L’histoire est un clou auquel j’accroche mes romans. »

Interview de Gustave Flaubert en en 1852. (Extrait  p.159 à 161).

« Ce roman que vous écrivez vous prendra t-il du temps  ? … »: « Je n’en sais rien … Sûrement encore des années ! Repassez me voir en 1856, on en reparlera ! Il n’y a rien de plus effrayant et de consolant qu’une œuvre longue devant soit »  Con, sot,  lent : pas étonnant que je  trouvais, dans ma jeunesse, ses romans lourdingues et barbants.

Interview d’Alfred Jarry, en 1896 pour la présentation d’Ubu roi (Extrait  p.204 à 205).

« Le costume d’Ubu, pourquoi ces dessins sur son ventre ?  »: « C’est une cible ! Ubu est l’homme à abattre. »

 

Voila pour un rapide tour d’horizon de ce beau petit livre. Merci Monsieur Pintoux, j’ai beaucoup appris en m’amusant. J’ai hâte de lire les suivants. Par contre et pour répondre à votre dédicace je ne pense pas que je lirais beaucoup de ces auteurs trop classiques aujourd’hui. Peut être Jarry pour compléter ma culture et peut-être Balzac dont je n’ai approché que les figures imposées par les programmes scolaires il y a très longtemps. Je suis un peu plus entreprenant avec les classiques du XXe siècle et encore mes préférés ne sont pas forcément les plus classiques.

 

Pour mes quelques fidèles lecteurs, du moins ceux qui auront pu aller au bout de ce billet quelque peu inhabituel et à qui je recommande la lecture de cet ouvrage, voici les références. :

 

Interviews d’outre-tombe. Confessions des classiques du Lagarde et Michard de Jérôme Pintoux. Edition JBZ & Cie   38 rue La Condamine Paris XVIIe.

   

(A suivre)

 

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A
Oui, tout cela me semble joliment troussé !
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