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UNE HISTOIRE DE FAMILLE : Chapitre 1 : Un peu de généalogie

8 Novembre 2023 , Rédigé par Nozor Publié dans #Souvenirs de famille

PROLOGUE

Cet article a pour but de laisser un témoignage de la vie de notre famille à travers mes souvenirs à destination des générations suivantes qui  ressentiraient l'envie de plonger dans le passé, l'éparpillement géographique étant peu propice à la transmission orale familiale.

Afin de situer le contexte, je vais  aborder la généalogie familiale en partant de mes grands-parents  maternels et paternels.

Mes grands parents maternels 

Miguel ANDRES SANCHEZ né le 29 septembre 1899 à Villasarracino (Palencia, Espagne) décédé le 1er septembre  1958 à Santander (Espagne)

marié le 10 février 1923 à Santander (Espagne)

à Secundina Pilar NIETO TOCA née le 22 mai 1896 à Santander décédée en 1943 à Toulouse

Ils eurent 3 Filles :

  • Encarnacion née le 6 septembre 1923 à Paris 20ème, décédée à St Maur (France) le 04/12/1989 
  • Geneviève née à Santander en 1925 décédée à Badalona (Espagne)
  • Pilar née à Santander en 1927, décédée à Montréal (Canada)

Elles donnèrent à leur tour naissance  à une nouvelle génération :

  • Encarnacion, 3 filles : Pilar (moi) en 1948, Françoise en 1952 et Marie-Louise en 1958
  • Geneviève, 2 garçons et une fille : Michel en 1947, José en 1949 et Isabelle en 1956
  • Pilar, 2 garçons : Ramonin en 1958 et Marcel en 1968

*************

Mon grand-père Miguel, fils de Victoriano ANDRES APARICIO et de Hipolita SANCHEZ CALVO, est né le 29 septembre 1899 à Villasarracino dans la province de Palencia en Castille-Leon à une centaine de kilomètres au sud de Santander. A l’âge de 8 ans, à la suite à un coup de pied porté par un autre enfant il déclara une gangrène, il perdit sa jambe gauche et à cette époque il n'était pas question de lui offrir une jambe artificielle (manque de moyen ou de volonté de son père, Miguel en voulait beaucoup à sa famille). Elève d’une très grande intelligence, l’instituteur du village voulut l’envoyer au collège mais ce n’était pas le choix du père qui, dans cette région agricole, ne voyait qu’un avenir possible pour son fils, faire un des métiers artisanaux traditionnellement dévolus aux infirmes : Miguel serait cordonnier-bottier. Apprenti il apprit le métier chez un artisan de sa région puis à 18 ans il quitta son village et sa famille, pour aller gagner sa vie à Santander. Quelques mois plus tard, à force d’économie, il était en mesure de se payer une jambe artificielle qui allait faire de lui un autre homme, il devint maitre-bottier, un homme respecté par son travail. (il sera, plus tard sous la république, délégué de l'industrie de la chaussure de Santander). A cette époque de 1923 à 1930 l'Espagne était sous le coup de la dictature de Primo de Rivera il commença à s'impliquer dans les mouvements républicains de Santander. Il deviendra plus tard membre fondateur du PSOE (Parti Socialiste Ouvrier) de Cantabrie.

C’est à Santander qu’il rencontra ma grand-mère Pilar née le 22 mai 1896 à Santander. Fille de Saturnino NIETO PEREZ originaire de Ventosa (province de Logroño dans la Rioja) et d’Encarnacion TOCA HERRERA originaire de Liencres près de Santander.

Miguel et Pilar se marièrent en février 1923 alors que Pilar était enceinte. Miguel, en raison de la crise économique en Espagne  faisait de fréquents séjours en France ; c'est au cours de l'un d'eux,  accompagné de son épouse, courant 1923 début 1924,  que naquit la petite Encarnacion ….(la future mère de Pilar…oui je sais que c’est un peu difficile à suivre avec cette manie des espagnols, et d’autres, de donner à tous les enfants d’une même famille les mêmes prénoms de génération en génération ; que de Encarnacion, de Pilar et même de Genoveva dans cette famille Andres !)….la petite Encarnacion vit donc le jour à Paris, le 6 septembre 1923, ce qui lui permettra plus tard de choisir la nationalité française.

 

Le couple retourna courant 1924 à Santander, calle de Burgos où naquirent en 1925 puis en 1927, Genoveva et Modesta Pilar. (Encore…et sans compter une autre Genoveva, la sœur de Pilar qui épousa un Adolfo au prénom prémonitoire et tragique car ce beau-frère de Miguel prendra lui,  le parti des franquistes)

Miguel et Pilar vivaient avec leurs 3 filles dans la vieille ville de Santander ; capitale de la Cantabrie région du nord de l’Espagne et c’est l’un des 3 ports importants espagnols sur l’Atlantique (Golfe de Gascogne) ; Santander est situé entre Gijón à l’ouest en Asturies et Bilbao à l’est en Pays Basque.

Afin d'améliorer le quotidien, le foyer familial accueillait des pensionnaires ce qui occasionnait un surcroit de travail pour ma grand-mère à la santé fragile et qui de plus exerçait le métier de couturière à domicile, ma mère fut donc, très jeune, mise à contribution pour aider aux tâches de la maison.

La république fut accueillie en 1931 par le couple avec un immense espoir car cette Seconde République repose sur une nouvelle constitution libérale qui instaure le  suffrage universel, prend des mesures en faveur des paysans (réforme agraire ), des femmes (droit de vote, divorce autorisé) et des autonomies catalane et basque. Les titres de noblesse sont abolis et le pouvoir du clergé et de l'armée se trouvent diminués. Ma  mère m'a raconté qu'à cette époque ma grand-mère qui partageait les idéaux de son mari, prenait un malin plaisir, les jours de vote, à surveiller les bigotes du quartier et profitait du moment où elles se rendaient à l'église pour aller voter à leur place.

Cet espoir dans la démocratie enfin conquise balbutia en 1936 puis bascula en 1937; l’équilibre familial aussi.

Au début de l’insurrection franquiste, les républicains de cette région nord étaient confiants, c’était même sans doute de toute l’Espagne, les républicains les plus confiants : Cette vaste et riche région qui s'étend des Asturies jusqu’au Pays Basque avait des liens économiques très forts avec l’Angleterre et la France, les intérêts économiques et financiers faisaient que ces puissances ne pouvaient pas «lâcher» la République, c’était une certitude…. sans compter que le Front Populaire était arrivé au pouvoir en France. Quelle erreur de jugement et quelle désillusion ! Effectivement des cargos et la marine royale britanniques patrouillèrent dans le golfe de Gascogne au large de Bilbao, de Santander et de Gijón dès le début de l’insurrection franquiste. Fin 1936 début 1937, des bateaux français, le plus souvent affrétés par des mouvements de gauche, vinrent aussi contribuer au ravitaillement (dont des armes) et par la suite ils durent procéder aux premières évacuations des populations civiles.

Pour les putschistes, il était primordial de réduire cette région nord afin d’isoler le plus vite possible Madrid. Cette bataille majeure, les franquistes l’emportèrent grâce à l’appui puissant et sans restriction des forces allemandes et italiennes. L’offensive lancée fin mars 1937, connut son point crucial avec la destruction de Guernica par la légion Condor et le millier de victimes des bombes incendiaires qui y furent testées pour la première fois. A partir de ce drame l’émotion fut telle qu’elle provoqua l’abattement dans le camp républicain déjà malmené par les divisions internes. Le Nord de l’Espagne tomba finalement assez facilement malgré les sacrifices des combattants républicains : Bilbao le 19 juin, Santander le 25 août puis Gijón le 21 octobre : le nord devenait franquiste et le sort de la démocratie en Espagne était scellé pour ….très, très longtemps : plus de 40 ans.

Les premières évacuations par bateaux de civils et surtout d’enfants se firent d’abord de Bilbao….puis au fil de l’avance des troupes franquistes le gros des départs se fit ensuite de Santander où 20.000 personnes furent embarquées rien qu’en Juillet 1937, avec 15 bateaux qui assuraient les transports par rotation (9 anglais et 6 français selon Pierre Marques dans son ouvrage «Les enfants espagnols réfugiés en France»). 

Avec l’avancée des franquistes, puis le blocus de Santander qui se mettait en place, il apparut fin juillet qu’il ne restait plus guère de solution que d’évacuer les derniers enfants sur Gijón d’où ils pourraient embarquer; c’était la dernière chance et Miguel et Pilar, eux qui étaient repérés par leur activisme républicain, durent se résigner à l’inimaginable pour sauver leurs enfants, la séparation, et faire partir leurs 3 filles qui avaient respectivement 14, 12 et 10 ans. Ce dernier transfert vers Gijón, se fit le 3 août 1937.

On imagine que cette séparation fut douloureuse ; Les chances de se revoir étaient, pour le moins, très incertaines, mais il fallait y croire et surtout le faire croire aux filles. 2 jours plus tard, il y a aujourd’hui 86 ans, les enfants étaient embarqués, accompagnés par une institutrice sur un bateau nommé Stamwool à destination probable de Lille.

En fait le bateau s’arrêta à Bordeaux, où les enfants furent retenus à bord plusieurs jours, en «quarantaine». Le bateau fut ensuite déplacé vers Pauillac où ils purent enfin débarquer ; là les 3 sœurs furent lavées, récurées, désinfectées, vaccinées, rasées : ces journées resteront pour Encarnacion le souvenir d’une terrible humiliation. Les enfants furent ensuite dirigés vers Paris, enfermés dans des wagons avec très peu de nourriture et surtout très peu d’eau ce qui fut un calvaire. A Paris ils seront hébergés sur une péniche, gardés par la police, pendant que les autorités cherchaient des familles d’accueil, mais il y avait peu de volontaires spontanés. Cette situation infernale eut bientôt raison de la santé mentale de la seule adulte accompagnatrice du groupe d’enfants de Santander, l’institutrice se suicida. Ce geste désespéré a peut être été une sorte d’électrochoc qui a conduit à débloquer la situation, car les autorités décidèrent enfin de diriger les enfants vers le Nord, destination initiale du bateau où manifestement un comité d’accueil de militants et syndicalistes avait été prévu et s’était organisé pour les placer dans des familles.

La plus chanceuse fut Modesta Pilar la plus jeune, qui fut placée dans la famille d’un riche industriel, M. Meurisse, qui était franc-maçon et fut, bien plus tard, après la guerre maire d’une petite ville du Morvan. M. et Mme Meurisse qui n’avaient eu que des garçons, dont le dernier était sensiblement de l’âge de Pilar,  l’élevèrent comme leur propre fille.

Encarnacion et Genoveva furent placées dans des familles où elles eurent à travailler, parfois durement; elles étaient considérées comme des bonnes à tout faire. Ma mère fut placée dans une famille qui comptait 5 ou 6 jeunes enfants et malgré l'obligation de scolariser les enfants accueillis, elle n'était autorisée à s'y rendre, que si au préalable elle s'était occupé des enfants et elle devait aussi battre la crème pour faire le beurre. Elle ne s'y rendit pas souvent. C’est pour Genoveva (12 ans) que ce fut sans doute, le plus difficile, car elle était chez un couple qui tenait un bistro et ils étaient ivres tous les jours mais heureusement, «Papa» Meurisse, intervint et lui trouva une autre famille d’accueil. 

Pendant ce temps les parents avaient réussit à fuir de Santander; Miguel qui était très impliqué dans la défense de la ville fut trahi par son beau-frère Adolfo qui le dénonça et remis des informations cruciales aux franquistes. Miguel et Pilar réussirent à s’échapper, à gagner les Pyrénées puis la France, pour revenir quelques temps défendre la république à Barcelone. Après la défaite complète des loyalistes ils se réfugièrent à Cordes sur ciel, dans le Tarn.

Je suppose que c'est encore M. Meurisse qui aida la famille à se retrouver dans cette pittoresque petite ville de type médiéval où Encarnacion et Genoveva vinrent rejoindre leurs parents et où ils restèrent pendant plusieurs mois (sans doute 2 ans) avant de s’installer en 1941 ou 1942 à Toulouse.

Pilar était restée dans la famille Meurisse qui avait quitté le département du Nord lors de l’invasion allemande pour s’installer sur Toulouse où M. Meurisse avait des magasins de tissus.

Pilar mourut à Toulouse en 1943, à 47 ans des suites peut-être d’une pleurésie.

UNE HISTOIRE DE FAMILLE :  Chapitre 1  : Un peu de généalogie
UNE HISTOIRE DE FAMILLE :  Chapitre 1  : Un peu de généalogie
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UNE HISTOIRE DE FAMILLE :  Chapitre 1  : Un peu de généalogie

Mes grands parents paternels 

 

 

Francisco ROZON PERTIÑEZ né le 29 avril 1873  à Chauchina (Espagne) décédé en 1936

Mariés le 18 octobre 1897 à Grenade

 

Francisca MOLINA CASTRO née le 5 juillet 1879 à Fuente Vaqueros décédée à Grenade en 1965

Ils auront 12 ou 13 enfants dont mon père Luis né le 28 février 1914 à Fuente Vaqueros décédé le 21 novembre 1981 à Créteil

Francisco et Francisca étaient des enfants du pays andalous ; leurs parents respectifs étaient pour lui José ROSON PEREZ et Matilde PERTIÑEZ TEJERA, et pour elle : Rafaël MOLINA FERNANDEZ et Dorotéa CASTRO GONZALEZ

Francisco et Francisca eurent en fait 13 enfants dont 2 vraisemblablement morts nés ou en très bas âge, mon père m’ayant toujours dit que ma grand-mère avait eu 13 enfants.

Les naissances espacées chacune d’environ 2 ans se sont réparties, sensiblement de 1897 à 1923. Les 11 enfants qui ont vécu, furent dans l’ordre : José, Rosa, Paco, Antonio, Matilde, Manuel, Rafaël, Luis, Emilia, Guillerma et Carmen. Tous nés à Fuente Vaqueros à l'exception des 3 dernières filles nées à Chauchina, un village proche.

Francisca MOLINA et 3 de ses filles Guillerma, Carmen et Emilia dans les années 40

Ces 11 enfants générèrent à leur tour une nombreuse descendance, je compte pour ma part pas moins d'une trentaine de cousins.

***********

Francisco Rozon Pertiñez né en 1873 était ouvrier agricole et travaillait pour les propriétaires terriens. La mère Francisca Molina Castro né en 1879 fut mère au foyer pour élever les 11 enfants du couple.

La région de Grenade est riche, un éden agricole adossé à la Sierra Nevada, une plaine  fertile, limoneuse, la riche « Vega » bien arrosée par les rivières et fleuves qui descendent vers la mer. En cette période ultra-inégalitaire cette richesse ne profitait qu’aux propriétaires surtout pendant la fin du règne d’Alphonse XIII sous la dictature de Primo de Rivera entre 1923 et 1930. Francisco trouvait bien sûr du travail mais les salaires des journaliers s’effondraient. Il fallait toujours travailler plus pour gagner moins. Rafaël et Luis durent travailler dès l’âge de 8 à 9 ans en gardant du bétail ou des cochons et en ramassant des asperges sauvages (ou autres selon les saisons) qu’ils revendaient pour améliorer le quotidien.

En cette période de fin des années 20, Francisco et Francisca ne purent même pas compter sur un renfort du fils aîné : José qui avait effectué son service militaire au Maroc espagnol et était rentré mourant d’une fièvre, sans doute la malaria, laissant une petite fille de quelques années, Carmen, qui fut laissé à la charge de la famille, sa mère étant partie refaire sa vie en amérique latine.

Francisco était un homme strict : Quand l’un des enfants n’était pas à table à l’heure voulue ….il devait attendre le repas suivant pour manger. Il inculqua à ses enfants le sens de l’honneur, du travail, de la famille et du respect. On ne sait rien de ses rapports avec la religion très présente et influente en Andalousie. Toujours est-il que, plus tard, après les ravages de la guerre civile… Luis et Rafaël étaient devenus des mécréants intransigeants et surtout des anticléricaux convaincus. (à  tel point qu'à la fin de sa vie, mon père nous répéta à maintes reprises que si un jour il demandait la présence d'un prêtre il ne fallait surtout pas l'écouter. C'est qu'il aurait perdu la raison).

  Malgré ces conditions difficiles, tous les enfants de la fratrie savaient lire, écrire et compter alors qu'en Andalousie au début du 20ème siècle on ne comptait que 45% des garçons et 25% des filles qui maitrisaient la lecture, l'écriture et le calcul.

En 1931 aux élections municipales, les premières élections démocratiques que concéda Alphonse XIII, après la dictature de Primo de Rivera, ce fut un raz de marée de gauche. Le roi abdiqua et la république fut déclarée. Il s’ensuivit une période peut être un peu confuse mais ce fut un temps où les couches populaires campagnardes ou citadines ressentaient un mieux vivre. 

Après ces élections une ère de tranquillité, peut-être d’insouciance, s’installa avec cette jeune république. Les 3 jeunes sœurs de Luis et Rafaël purent même aller à l’école….elles eurent comme institutrice une certaine mademoiselle Garcia Lorca, la sœur du poète. En effet la famille Garcia Lorca était de Fuente Vaqueros, c’était certes une famille bourgeoise aisée et cultivée, qui possédait une belle résidence et des terres mais qui n’était pas insensible à la misère du peuple.   

 Vers 1933 mon oncle Rafaël, à son retour de son service militaire effectué aux Canaries, était soucieux de son avenir et ne voulait pas continuer cette vie de misère, le travail de la terre ne permettant pas aux familles de manger à leur faim. Il décida donc d'apprendre le métier de coiffeur avec un cousin éloigné de ses parents, suivi bientôt par son frère Luis. Ils s'installèrent par la suite à leur compte à Lachár, toujours dans la périphérie de Grenade où ils officièrent jusqu'à 1936, date de l'insurrection franquiste.

 

JUILLET 1936 - L'INSURRECTION FRANQUISTE 

En juillet 1936 un acte inconscient ou une provocation délibérée fut l’assassinat du chef de l’opposition monarchiste Calvo Sotelo ….Ce fut le déclic de la rébellion, rébellion qui se préparait depuis plusieurs mois. Parti du Maroc et dirigé par le général Franco que le gouvernement républicain avait écarté, le soulèvement de l’armée s’étendit rapidement et surtout en Espagne du sud. Les élections de février 1936 virent la victoire du front populaire (même si certaines circonscriptions comme Grenade restèrent à droite). Selon l’historien Bartholomé Bennassar le projet politique du front populaire était extrêmement modéré soucieux de ne pas donner d’arguments aux ennemis de la république. La légion étrangère et ses banderas dans une logique d’extermination mirent le pays à feu et à sang.  Toujours selon Bartholomé Bennassar, mais aussi l’historien britannique Hugh Thomas, au cours de l’été 1936 les tribunaux militaires, dirigés par le général Campins, ancien adjoint de Franco, prononceront 2700 condamnations à mort à Grenade et plus de 3000 dans les environs (Fuente Grande, Fuente Vaqueros, Barranco de Viznar ) et sans compter les morts par tabassage lors des interrogatoires (lire ou relire le testament espagnol d’Arthur Koestler)

Federico Garcia Lorca, éminent écrivain et poète, né à Fuente Vaqueros* en 1898 avait pris fait et cause pour la République et pour le front populaire qui s’était constitué en 1935, rassemblant tous les partis de gauche et tous les syndicats. Il fut l'une des premières victimes des rebelles franquistes. Il fut arrêté  le 16 août  1836 et assassiné par des miliciens anti-républicains le 18 août 1936.

 

* En 1931, le poète inaugure la première bibliothèque de Fuente Vaqueros, village. Il prononce à cette occasion une allocution destinée aux paysans de son village dans laquelle il fait l’éloge du livre et de la lecture. Livres ! Livres ! Voici un mot magique qui équivaut à dire « Amour, amour », et que les peuples devraient réclamer comme ils réclament du pain ou désirent de l’eau pour leurs semailles. »

Le maire de Grenade favorable au soulèvement de Franco, facilita l'arrivée des troupes franquistes qui pratiquèrent de nombreuses arrestations parmi la population favorable à la République. Le bruit se répandit dans toute la région mais un de mes oncles, Paco, qui avait été prévenu par des amis que des arrestations étaient imminentes,  ne jugea pas utile de se cacher car il n'avait rien à se reprocher. Mal  lui en prit car il fut arrêté, jugé sommairement et fusillé  au petit matin.  Les membres  de la coopérative agricole qui avait été mise en place, dans le cadre de la réforme agraire par quelques habitants du village furent dénoncés par l'un d'entre eux  qui eut, de ce fait,  le champ libre pour s'accaparer les fruits du labeur des autres membres. Ce détail ne m'a été révélé qu'en 2014 par une cousine (fille de Paco) dont le mari âgé de 5 ou 6 ans à l'époque avait assisté à l'arrestation de mon oncle qui  laissait 5 enfants dont 2 jumelles nées en 1935. C'est alors que j'ai compris pourquoi mon père disait souvent "mon frère est mort pour un sac de patates !

Comme il fut assassiné à la mi-août 1936,  mon père et mon oncle Rafaël supposaient qu'il fut enterré comme beaucoup d'autres dans des fosses communes à la même époque que Federico Garcia Lorca.  N'oublions pas que Paco et Federico avaient le même âge et malgré des origines sociales différentes devaient forcément se connaître dans ce gros bourg agricole. 

Quant à mon grand-père Francisco,  bon père de famille, homme honnête, travailleur, respectueux de la démocratie et de la république, il fut dénoncé par ses voisins ; il mourut dans les geôles de Grenade des suites d'un passage à tabac.

LUIS ET RAFAEL REJOIGNENT L'ARMEE REPUBLICAINE

Luis et Rafaël eurent plus de chance que Paco. Ils s'échappèrent par la fenêtre quand les franquistes arrivèrent chez eux. Leur vie s’est jouée à quelques minutes. S’en sont suivis des heures, des jours de peur, de caches, de fuite pour rejoindre des zones du Centre-Est où l’armée fidèle à la république résistait et contenait les rebelles.

 La suite entre 1937 et 1938 j'en sais peu de choses sinon que les 2 frères, engagés dans l’armée de la république, ne se sont jamais quittés. De ces années de guerre civile, ils en parlaient peu. Je sais qu’ils détestaient les armes à feu fussent-elles des armes  de fête foraine. Mon père nous racontait comment il était amené à porter les premiers secours aux blessés légers (les barbiers étaient dans le temps assimilés aux infirmiers). Par la suite c'était lui qui soignaient nos petits bobos, ma mère ne supportant la vue du sang, il n'avait pas son pareil pour faire les bandages.

La seule chose que mon père nous disait c'est que dans les sous-sols de monastères ils avaient trouvé d'anciennes cellules où gisaient les corps de nonnes avec des nouveaux-nés, fruits du péché.

Par certains recoupements et les références répétées à Teruel, à la traversée de l’Ebre à la nage en hiver et à la rencontre avec Ramon qui avait une soeur qui ne laissait pas Luis indifférent (Ramon épousa quelques années plus tard Pilar, la soeur de Encarnacion ), on  peut penser qu’ils ont participé aux terribles batailles de Teruel (Décembre 1937 février 1938) puis de l’Ebre (juillet novembre 1938). Ils étaient aussi probablement présents lors de la chute de Barcelone (voir ou revoir le magnifique film de Ken Loach "Land and freedom") avant la Retirada.  

1939 - LA RETIRADA ET LES CAMPS

Luis et Rafaël Rozon, sont passés en France par le col d’Arès et passèrent les premiers jours dans les champs du côté de Prats de Mollo, puis vers Amélie les Bains et Céret. Ils creusaient un trou dans la terre pour s’enfouir sous une couverture et de la paille qu'ils trouvaient pour se protéger du froid hivernal. Les autorités françaises étaient complètement dépassées par les évènements et la population devint, assez rapidement, méfiante. Les sermons des dimanches à l’église aidant, les habitants des villes et villages traversés regardaient, avec crainte ou hostilité, débarquer cette cohorte de « Rouges » hirsutes. 

Ils furent ensuite transférés, transis de faim et de froid sur la plage d'Argelès sur mer où rien n'avait été prévu pour les accueillir, ni baraquement, ni sanitaire. Là encore, ils ne pouvaient que  s'enfouir dans le sable pour se protéger du froid. Pour toute nourriture il leur fut distribuer du pain, quelques boites de sardines, et du camembert qui avait déjà beaucoup vécu, comme il nous le dira plus tard.

A partir de fin mars, ils seront déplacés à Barcarès où un camp sommaire avait été rapidement construit.

En septembre Luis et Rafaël comme de nombreux espagnols furent réquisitionnés pour des travaux en dehors des camps dont les vendanges du côté de Agde.

Ensuite, tous à nouveau regroupés à Barcarès, ils apprirent, courant novembre, leur prochaine affectation aux Compagnies de Travailleurs Etrangers. Ces compagnies avaient été créées en avril 1939. Ils furent affectés tous les deux à la 132ème compagnie à St Jouin de Marnes, dans les Deux-Sèvres. Pendant tout l’hiver ils durent dormir dans "des wagons dans lesquels il y avait même de la glace"  disait Rafaël, avec seulement quelques couvertures pour se tenir chaud.  A la 132ème compagnie, il y avait deux types de tâches : Soit travailler au chaud, sous contrôle militaire, au dépôt de munitions situé entre Saint Jouin de Marnes et Borcq sur Airvault, soit travailler en plein air, sous les directives des cheminots à l’entretien et à la remise en état de la voie ferrée. Luis et Rafaël ont préféré la très froide semi liberté …..bien leur en a pris car en restant près de Saint Jouin de Marnes ils purent faire valoir leurs compétences diverses et notamment le fait qu’ils étaient coiffeurs de métier : Ils devinrent assez rapidement les coiffeurs et barbiers de la compagnie, mais également des militaires qui les gardaient le soir.

Et bientôt, comme il n'y avait plus de coiffeur dans le village,  ils se mirent, aussi, à couper les cheveux et à raser les habitants dans le petit café du village. Ils se faisaient ainsi un peu d’argent, utile pour améliorer l’ordinaire et au bout de quelques mois, ils eurent même le plaisir de pouvoir se nipper, de pouvoir s'endimancher, ils achetèrent chacun un costume. Après ce long hiver, 4 années de guerre, de misères, de privations, le printemps arrivait-il enfin ?

Il fut de très courte durée car dès juin les allemands envahissaient la France et un capitaine français les informa que les allemands allaient arriver et  leur conseilla de partir le plus loin possible. Ce qu'ils firent en rejoignant Carcassonne à vélo, puis Castres où Luis trouva un emploi de menuisier dans une manufacture de boiseries. Ils durent ensuite revenir dans l’Hérault pour devenir ouvriers agricoles. Finalement le travail qui permettait de gagner un peu plus d’argent était celui de mineur. Ils acceptèrent de rejoindre la mine de la Caunette. Luis y fut chef de chantier et tous les deux, dans des conditions de travail difficiles, testèrent la possibilité de gagner un peu plus en travaillant beaucoup plus ; mais c'était déjà à l'époque un marché de dupe.

Un jour il y eut un effondrement et Luis fût sérieusement blessé. A partir de ce moment Rafaël refusa de redescendre à la mine et sut persuader son frère que l'essentiel était de rester en vie. Un soir ils se sauvèrent de la mine pour rejoindre Toulouse où ils se firent embaucher à l’entretien d’un terrain d'aviation.  Recherchés par les gendarmes, pour abandon de poste à la mine, ils furent appréhendés et reconduits à La Caunette d’où ils s’évadèrent  à nouveau, la nuit venue, pour d’abord, se cacher à Carcassonne puis, quelques semaines plus tard retourner à Toulouse.

Toutes ces informations ont été recueillies par ma fille Cécile qui, en 1993 lors de ces études, consacra son mémoire de Maîtrise d'Espagnol,  aux "réfugiés espagnols dans les Compagnies de Travailleurs Etrangers dans le Poitou Charentes". Pour ce faire, elle fit des recherches et s'entretint avec un certain nombre de réfugiés espagnols dont mon oncle Rafaël  qui lui apporta le témoignage de tout ce qu'ils avaient vécus avec son frère.

En introduction à son mémoire elle mit une dédicace à son grand-père :

"Tu nous as quitté depuis maintenant douze ans, alors que j'étais trop jeune pour bien te connaître et pour parler avec toi de ton passé. Mais tu nous as légué quelque chose de fort, quelque chose qui fait qu'une partie de nous a toujours les yeux rivés de l'autre côté des Pyrénées, à la recherche d'un passé tentant et terriblement effrayant. J'aurais voulu te connaître il y a bien longtemps, t'aider à surmonter ces épreuves terribles qui ont fait de toi l'homme courageux et attachant que tu étais et que tu resteras dans le cœur de ta famille.

A toi, Luis Rozon, à ton frère Rafaël et à tous ceux qui ont subi ces terribles années, je dédie cet ouvrage qui sera, j'espère, à la hauteur de ce que vous auriez pu attendre de moi..."

En 1944, les 2 frères se séparèrent pour la 1ère fois depuis 1936. Rafaël rejoignait les FFI (Forces Françaises de l'Intérieur) et Luis fut embauché dans un salon de coiffure à Toulouse.

 

UNE HISTOIRE DE FAMILLE :  Chapitre 1  : Un peu de généalogie

 

Pour voir la suite : Chapitre 2 : La fin de la guerre

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