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Histoire de rôle ...... Auguste Pavie, explorateur aux pieds nus, parti à la conquête des cœurs.

15 Avril 2021 , Rédigé par niduab Publié dans #Histoire de rôles

C'est grâce à un cadeau de Noel, un superbe livre Aventuriers du monde de la collection  L'iconoclaste que j'ai fait la connaissance d'Auguste Pavie. C'est le journaliste J.C. Guillebaud, qui en a fait un portrait très intéressant parmi une vingtaine d'autres grands explorateurs français (période 1866-1914). Ma deuxième rencontre avec le personnage eut lieu en novembre 2014 lors d'un voyage à Angkor. En préparant ce voyage j'avais acheté diverses publications dont un Guide touristique Vietnam et Angkor (c'était le périmètre de notre voyage) et un hors série du Point,  intitulé Ces voyages qui ont changé le monde,  où il y avait un encore un portrait d'Auguste Pavie. (Proposé par F. Simonis)

J'ai montré cet article à Leth notre guide cambodgien qui, à ma grande surprise, connaissait ce personnage historique qui était, m'a t-il dit, honoré au Cambodge. Je dois préciser que Leth avait été professeur de français avant de devenir guide (En raison du recul de l'enseignement du français en faveur de l'anglais et aussi parce que le métier était mieux payé). Leth m'avait aussi étonné en me parlant d'un film de Régis Wargnier, "Le temps des aveux", qui avait été tourné à Angkor quelques mois plus tôt. Par contre je n'ai trouvé aucune information sur Auguste Pavie dans le guide touristique pourtant copieux.

 

Auguste Jean Marie Pavie est né à Dinan le 31 mai 1847. Il fit l'essentiel de ses études à Guingamp où son père était gendarme. Le jour de ses 17 ans il s'engage dans l'armée espérant faire de grands voyages. Mais compte tenu de son jeune âge il végète et s'ennuie en caserne à Brest. Trois ans plus tard il demande sa mutation au 4ème régiment de marine et fin octobre 1868 il embarque destination Saïgon où il arrive en janvier 1869. Nouvelle déception ! Dix mois plus tard il entre au service télégraphique d'Indochine comme agent auxiliaire stagiaire, enfin un job qui semble lui plaire.... Sauf que le 17 juillet 1870 la France déclare la guerre à la Prusse. Patriote il décide de rentrer en métropole pour faire son devoir. Ce n'est pas facile, ça prend du temps et c'est comme rapatrié sanitaire qu'il arrive à ses fins.... Ce qui fait qu'avec le temps du voyage il arrive bien tard, juste pour quelques combats des forts de Paris avant la capitulation le 4 septembre 1870 et la naissance de Troisième République. Soldat engagé il ne put rejoindre la Cochinchine qu'en 1872 où il retrouve son poste au service télégraphique et continuera à se former durant trois ans.

En 1876 il est  muté à Kampot au nord du Cambodge où il est le seul occidental parmi les indigènes et où, depuis 1872, a été commencée la ligne télégraphique devant relier Phnom Penh à Kampot. Par ce poste il va  s'immerger pendant trois ans dans la culture khmère et il adopte le mode de vie local. Beaucoup plus tard quand il écrira « Le pays des millions d'éléphants et du parasol blanc »  il racontera comment il fut reçu à Kampot. 

« De l’art du discours, le chef du temple khmer avait seulement la note naturelle, mais sa parole chaude, alliée à la flamme de son regard, s’emparait de moi et je me complaisait à découvrir dans son récit des périodes de tristesse, de regrets, de larmes et d’espoir ; je sentais qu’il exprimait des sentiments que les Cambodgiens devaient tous avoir ; il faisait vibrer les cordes de mon cœur ; en croyant simplement m’instruire, il me conquérait. Quand l’interprète eut parlé à son tour, et qu’il eut ensuite traduit mon impression à celui que j’appelai dès lors mon ami, je demandai ce que signifiaient quelques-uns des mots les plus employés que j’avais retenus. Et j’ajoutai « je suis décidé à étudier le khmer, j’espère que vous m’aiderez ? » 

A ce moment les prêtres et les élèves arrivèrent pour la prière du soir. Tous étaient curieux de connaître pourquoi leur chef rayonnait : quant il leur a dit ma résolution, ils me saluèrent joyeux comme s’ils avaient appris une chose vraiment heureuse. L’entraînement que je subissais pour les choses khmères alla désormais en augmentant. L’étonnement causé par une civilisation sinon dédaignée, du moins à laquelle je n’avais pas donné l’attention qu’elle méritait, fit naître en moi un besoin impérieux de mieux connaître ce peuple au passé colossal voilé d’ombre, et d’étudier son sol. Il se trouvait que pour la satisfaction de mes désirs j’étais vraiment servi à souhait. En effet, dans ce district de Kampot les trois races siam, chinoise, et annamite vivent côte à côte avec les Cambodgiens, offrant des points précieux de comparaison pour l’observateur […]:

La nature s’est complu à y réunir dans la disposition du terrain ses manifestations les plus susceptibles d’agir sur l’imagination. Les montagnes les plus hautes du Cambodge d’y élèvent recouvertes de forêts vigoureuses, peuplées de fauves ; de leurs replis s’échappent en cascades bruyantes des torrents sans nombre allant former un petit fleuve, large sitôt qu’il est en plaine et qui, avant d’arriver à la mer, a un port sur ses rives. […] A droite et à gauche , les contreforts des monts viennent mourir dans les flots ; entre les hauteurs, une plaine, riche delta du petit fleuve, cultivée en rizières et couverte de palmiers à sucre dans ses parties basses, est chargée de plantation de poivre, d’aréquiers et de bétel dans celles qui avoisinent les pentes. Et sur cet ensemble, tantôt le ciel gris ardent des régions torrides, tantôt ciel bleu des nuits étincelantes d’étoiles, tantôt le ciel noir des orages ! [...]

Par l’effort constant des suggestions d’une population aimable qui demandait l’affection, [...]  une transformation profonde s’opéra en moi, je fus pris de passion et pour la population et la nature. 

Les ai-je assez souvent parcourus et fouillés ces forêts, cette plaine, ces plages et ces marais de Kampot. ! […] Quel est le village du canton aux fêtes duquel je n’ai pas assisté ? Combien dans le pays n’ont pas causé avec moi au moins quelques instants ? La connaissance de la langue me vint bien plus encore par la pratique que par l’étude. […] L’interprète, m’aidait à être compris et m’aidait à comprendre.

Tous là-bas, à quelques races qu’ils appartiennent, savent le cambodgien. Leurs conversations ne m’apprenaient pas seulement ce langage, elles m’instruisaient où me permettaient d’instruire les autres sur une foule de sujet..»

Durant plus de trois ans à Kampot Pavie découvre la meilleure façon de vivre la coloniale ; il savoure le plaisir et l'efficacité d'être au plus proche des habitants.  

En 1880 il revient à Phnom Penh où il rencontre un nouveau gouverneur Le Mye de Vilers qui va lui confier de nouvelles missions dont la direction du chantier de la ligne télégraphique entre Phnom Penh et Bangkok. Enthousiaste il écrit à ses parents : « Le gouverneur civil que la République a envoyé en Cochinchine pour remplacer le gouverneur militaire est un homme de progrès. Sous son impulsion la colonie va prendre un développement énorme. » D'abord de décembre 1880 à mars 1881 Pavie étudie la zone comprise entre le golfe du Siam et le Mékong, soit 1300 kilomètres à parcourir à dos d'éléphant, en barque, à pieds ou en charrette à bœufs. Ses descriptions sur la géographie, la faune et la flore, mais aussi sur les populations sont très précises. Puis pendant cinq ans il vit cette vie de labeur et de découvertes. Pour récompense du zèle et de l'efficacité de son travail, il est décoré à 37 ans de la Légion d'honneur. 

Il a pourtant des déceptions notamment par le comportement de résidents envers les employés indigènes et puis il y eut le passage en force des militaires pour instaurer le protectorat malgré les réticences du roi du Cambodge et ensuite l'insurrection qui suivit cette humiliation à partir de juin 1884 et qui dura jusqu'à  fin 1886.

 Onze ans d'Indochine ont usé Pavie. Il exprime facilement ses agacements, parfois ses colères... Il finit par demander un congé pour rentrer en France où il a le projet de créer une école coloniale pour former les futurs cadres indigènes pour l'administration des colonies; il embarque d'ailleurs avec lui une douzaine de jeunes Cambodgiens prometteurs ; Ils arrivent en France en septembre 1885. Pavie se rend au ministère où il a deux requêtes à formuler avec l'appui du gouverneur Le Mye de Vilers : d'abord son projet d'école coloniale est retenu puis pour ce qui le concerne il pose sa candidature au poste de vice-consul de Luang Prabang qui est aussi acceptée. Après un court repos bien mérité en famille il embarque une nouvelle fois, mi-janvier, pour l'Indochine.

Après avoir recruté du personnel à Phnom Penh et constitué une équipe il part pour Bangkok où il arrive le 19 mars 1886.  En raison des obstacles mis par les Siamois à son départ pour Luang Prabang, il ne peut quitter la ville que le 30 septembre. 

Arrivé à Luang Prabang en février 1887, Pavie est accompagné de huit compagnons cambodgiens et d’un fonctionnaire siamois chargé de l’assister dans ses rapports avec les autorités du pays . Le Laos est sous tutelle du Siam et notamment son administration qui fait tout pour l’isoler du roi, des mandarins et de la population. Il réussira néanmoins malgré une étroite surveillance à parler avec les indigènes, gagner leur sympathie et s’attirer de solides amitiés par l’intérêt qu’il manifeste pour l’histoire et les coutumes du pays et réussit à conquérir l’amitié d’un roi chéri de son peuple. Il est dès lors convaincu que les Siamois n’ont rien à faire dans ce pays.

En mai la situation devient difficile. Un groupe de mercenaires, les Hos, sont passés à l'attaque. Le chef militaire siamois est parti à Bangkok depuis quelques jours avec ses soldats. Pavie est abandonné par son officier siamois et son secrétaire...... Les Hos pénètrent dans Luang Prabang le 7 juin 1887: la ville est abandonnée, la plupart des habitants ont fuit, le roi semble être bien seul....mais avec Auguste Pavie à ses côtés.  Au delà de son attachement à ce nouveau pays et à son roi, il a la volonté de montrer la présence française sous un jour favorable. Il fait preuve d'un grand courage. 

Les Hos sont partis. La ville a été pillée mais n'est pas détruite. La population regagne Luang Prabang. Pavie retire un grand bénéfice de sa conduite. Il a sauvé le roi, a soigné dix sept blessés dont le satou, chef des bonzes, de la pagode de Wat-Maï, qui devient un de ses fidèles amis. On lui sait gré de ne pas avoir pris la fuite.

Le roi devant ce désastre constate qu'il ne peut compter que sur la France représentée par Pavie. Celui-ci avec l'aide du satou de Wat-Mai retrouve les chroniques royales par lesquelles il acquiert la certitude que la suzeraineté du Siam sur ce pays est toute récente et sans fondements historiques. Pavie est d’ores et déjà acquis à l’idée de donner le Laos à la France. Le calme étant revenu à Luang Prabang il se rend à Phnom Penh avec les documents pour travailler juridiquement le sujet : Les cantons thaïs sont reconnus français en 1888.

En janvier 1889, il est de retour à Luang Prabang et reçoit du vieux roi et de la population un accueil très, très chaleureux. Il est ensuite nommé consul général chargé des fonctions de ministre résident de France en Siam. Ses équipes sont aussi chargées de faire les relevés géographiques et topographiques permettant d'établir la grande carte d’Indochine.

Entre 1892 et 1895 il y eut de nombreux incidents frontaliers dont des assassinats de soldats et de résidents français et cela s'est terminé par l'intervention de deux navires français qui ont remonté le Mékong jusqu'à Bangkok et mis le palais royal à portée de canons. Auguste Pavie est alors chargé de transmettre un ultimatum au gouvernement siamois en plusieurs points dont l'essentiel est la reconnaissance des droits de l’Indochine française sur la rive gauche du Mékong et ses îles et évacuation des postes siamois établis sur cette rive. Le roi et les autorités, ne pouvant obtenir un soutien britannique, acceptent cet ultimatum et le traité est signé le 8 octobre 1893. 

En 1895, alors âgé de 48 ans, Auguste Pavie quitte l'Indochine et n'y reviendra pas. De retour en France il est élevé au grade de commandeur de la Légion d'honneur. Il est également nommé ministre plénipotentiaire. Quel parcours pour ce gamin de 17 ans qui s'est engagé  pour partir pour les colonies et a commencé à travailler comme apprenti télégraphiste ! A Paris il fréquente quelques explorateurs comme Brazza et quelques gouverneurs et administrateurs progressistes,....  enfin ceux qui travaillait pour le développement et à faire aimer la France (voir aussi, le billet sur les "Largeau" et celui sur "Réné Caillé"). 

En 1887, il épouse Hélène de trente ans sa cadette qui comme lui est originaire de Dinan. Leur fils Paul-Auguste naît l'année suivant. Pavie consacrera l'essentiel sa retraite à la rédaction des dix volumes de la Mission Pavie en Indochine.  Le premier volume fut dédicacé par Georges Clémenceau le plus grand opposant à la politique coloniale des gouvernements de la IIIe République ce qui est vraiment une marque de respect envers Auguste Pavie et sa façon humaniste de faire cette politique. Sa dernière occupation fut d'être très brièvement (1924/1925) Maire de Thourie commune d'Ille et Vilaine. Il décéda le 7 juin 1925. 

 

Histoire de rôle ...... Auguste Pavie, explorateur aux pieds nus, parti à la conquête des cœurs.
Histoire de rôle ...... Auguste Pavie, explorateur aux pieds nus, parti à la conquête des cœurs.
Histoire de rôle ...... Auguste Pavie, explorateur aux pieds nus, parti à la conquête des cœurs.
Histoire de rôle ...... Auguste Pavie, explorateur aux pieds nus, parti à la conquête des cœurs.
Histoire de rôle ...... Auguste Pavie, explorateur aux pieds nus, parti à la conquête des cœurs.
Histoire de rôle ...... Auguste Pavie, explorateur aux pieds nus, parti à la conquête des cœurs.

Remarque : Cet article a été publié, dans ce blog, il y a deux ans, le 5 avril 2019, et comme il n'a été que moyennement lu, je le republie (en changeant la date de parution) mais sans rien changer.  Juste une nouvelle jeunesse en quelque sorte, mais surtout une façon de cacher mes difficultés à trouver de nouveaux sujets à travailler en ces temps de pandémie et de confinement.   

Sources : En introduction à ce billet j'ai cité deux sources qui m'ont fait connaître Auguste Pavie, toutefois je n'ai guère puisé dans ces documents qui vantent les mérites du personnage sans être très explicite sur l'ensemble de sa carrière. J'ai quand même repris en bleu le texte de l'accueil de Pavie à Kampot, un texte trop long bien que j'en ai quelque peu réduit le volume. 

Je ne pense pas avoir pris grand chose de wikipedia et je n'ai donc pas pour de rare emprunts changé de couleur. Par contre j'ai trouvé un site exceptionnel lui même éclaté en plusieurs sous site:  je fournis aux lecteurs curieux deux adresses et le reste se trouvera très facilement : Lien 1 et lien 2

J'ai aussi pas mal emprunté au site L'ambiguïté coloniale : Auguste Pavie, explorateur de l'Indochine notamment pour sa fin de carrière. 

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