A livre ouvert.... Le résident d'Uvéa.
Voilà encore un livre peu connu, que j’ai beaucoup aimé. Je l’ai découvert suite à une rencontre déjà brièvement évoquée dans un récent billet. J’ai eu le grand plaisir de faire la connaissance de l’auteur, François Robin, en mars dernier à Maillezais, chez nos amis Per et Margaid. Nous étions censés nous être connus au Cameroun dans les années 80, ce qui n’était pas le cas, et nous avions, selon nos hôtes, beaucoup de centres d'intérêts communs dont l’amour de la Guyane, ce qui s’est avéré exact. Ce dimanche-là nous avons passé une bien sympathique journée au cours de laquelle j’appris que François-Jeff, depuis qu’il était à la retraite, écrivait des romans. Deux déjà publiés et un troisième qui devrait sortir prochainement.
Je me suis rapidement procuré, par un site en ligne, « Le résident d’Uvéa » et « Après la mangrove ». Je parlerai du second une autre fois : c’est un polar guyanais que j’ai lu lors de notre récent séjour en Guyane. Le billet d’aujourd’hui est consacré à son premier roman.
Uvéa est une île du pacifique, une collectivité d’outre-mer, dont j’avais déjà entendu parler. Cependant si j’avais du répondre à "Questions pour un champion", je l'aurais plutôt située du côté de la Nouvelle-Calédonie. Eh bien non ! C’est l’une des trois îles de l’archipel de Wallis et Futuna et c’est plus précisément le nom de l’île principale de Wallis qui comprend aussi quelques îlots coralliens, les deux autres îles Futuna et Alofi, les îles de Horn, situées à environ 250 km de Wallis-Uvéa. Le tout étant à environ 22000 km de la Métropole et à 2000 km de la Nouvelle-Calédonie. Wallis a une superficie de 80 km2 (environ 16 x 5 km), soit sensiblement la superficie de l'île de Ré, avec une population de 9200 habitants, soit la moitié de celle de l'île de Ré.
Le roman raconte les deux années que Joseph Vrignaud a passées à Uvéa. Pourquoi ce vendéen, professeur de sciences sociales, qui se plaisait tant en Guyane, a-t-il demandé cette affectation sur cette minuscule île du Pacifique ? A-t-il un lien de parenté avec le capitaine médecin Léon Vrignaud, résident à Uvéa pendant la seconde guerre mondiale, alors que ce petit protectorat restait seul fidèle au maréchal Pétain ? François Robin nous relate aussi, sous la forme plus stricte d'un journal, les deux années difficiles de Léon Vrignaud..
Le livre s'ouvre d'ailleurs sur le récit de son départ d'Uvéa le 1er juin 1942 : « Je serai donc resté vingt-deux mois ici sur cette île perdue du Pacifique alors que j’ignorais presque son existence il y a quatre ans encore…..(.) Leone Manikitoga est venu. Rien n’a été très simple entre nous… et pourtant, il est là et ce n’est pas pour me narguer. Il ne m’a rien confié mais je le sais trop bien : Pour le roi, les chefs, pour l’ensemble de la population, de Gaulle, Vichy, la guerre se sont des histoires de "papalagi". Le roi n’a défendu que sa cause, celle de sa petite île….(..)…Tous les chefs gaullistes sont là, eux aussi. Molina m’a informé hier soir que nous allions, Bernast et moi, être relégués à Tahiti….. Le capitaine Molina reste un adversaire politique, mais j’avoue avoir pour lui la plus grande estime et je crois que c’est réciproque…..(...) ….. Avant de monter dans la vedette destinée à me conduire à bord de l’aviso, je me mis à genoux, imité aussitôt par le chancelier Bernast. C’était pour moi comme donner un dernier baiser à cette terre que je ne foulerai sans doute jamais plus. L’évêque me donna sa bénédiction : "Vous avez su, malgré les pires difficultés, maintenir le protectorat dans la fidélité du gouvernement légitime de la France. Allez en paix ! Wallis ne vous oubliera jamais" me dit-il, contenant à grand peine la montée de son émotion.»
Le deuxième chapitre nous emmène 62 ans plus tard en janvier 2003. Joseph Vrignaud arrive au petit jour à Wallis, hébété et l’horloge interne détraquée par trois jours de voyage. On le conduit à son hôtel où il se jette sur son lit. Une heure plus tard il se relève et impatient, il part à pied à la découverte de l’île.
«….D’épais nuages s’amoncellent au-dessus des îlots de la barrière de corail….. De tous ses voyages, Joseph n’a pas le souvenir d’avoir vu de telles arabesques, éclaboussures d’encre sur un fond rougeoyant…. Le promeneur s’engage sur la jetée, comme pour se rapprocher des îlots et de la ceinture de récifs qui boucle le lagon. Il devine la barrière grâce au rideau d’écume qui scintille au loin et au bruit continue et monotone, juste perceptible, des vagues qui se brisent. Il savait déjà, en venant à Wallis, qu’il goûterait cet instant précis de privilège comme s’il était déjà venu ici ou par une étrange prémonition… »
Pour cette nouvelle affectation Joseph est arrivé sur l’île plus de trois semaines avant la rentrée des classes, le temps de s’installer tranquillement. En effet en habitué de l’expatriation il sait que les premiers jours ne sont pas exempts de quelques problèmes matériels ou mésaventures parfois savoureuses. Ouvrir un compte par exemple c’est facile, sauf quand l’employé de banque part le lendemain en vacances pour trois semaines sans avoir effectué les formalités nécessaires. Pour faire quelques courses à Mata-Utu il y a une supérette, mais les rayons sont vides à l’exception des boites de corned-beef très prisé par les wallisiens. Eh oui ! Pourquoi mettre des marchandises en rayon alors que les "papalagi" n’arriveront que dans trois semaines.
Joseph n’est pas seul, il y a Eric, un autre nouveau prof qui est arrivé par le même avion. Lui est prof d’EPS et surtout il a bénéficié de son statut d’ancien international de rugby et de la demande d'un animateur de la fédération locale. Le nom d’Eric n’est pas indiqué et je ne le donnerai pas, sauf que le regroupement des informations que l’auteur fournit me laisse à penser que son prénom serait plutôt Frédéric. Ce serait lui le "Killer" de la dernière minute qui a permis au XV de France de J.P Rives de remporter pour la première fois, c'était le 14 juillet 1979, un test match en terres néo-zélandaises.
Joseph est à la recherche d’une maison et lors de ses contacts il fait des rencontres surprenantes. C'est le cas de Malia, une institutrice de l’école primaire qui a fait ses études au centre de formation catholique en Vendée. A Wallis le primaire est un monopole réservé de l’enseignement catholique. Par l’intermédiaire d’Eric il fait aussi la connaissance d’Edouard, le responsable du club de rugby de l’archipel et lui aussi a fait sa formation d’instit à la Roche-sur-Yon. Pour le vendéen, Joseph Vrignaud, on ne les envoyait pas là-bas par hasard.
Edouard et Eric accompagnent d’ailleurs Joseph quand il visite une autre maison. Celle-ci, bien qu'un peu grande, lui convient. Il fournit ses coordonnées et son identité et c’est là que la curiosité et le mystère va commencer à se répandre dans l’île. Quelques jours plus tard Eric l’interpelle : « Mais finalement, tu es de la famille de ce résident oui ou non ? » « Pas si simple - dit Joseph – Que je sache, je n’ai pas de lien direct, mais il est probable qu’il soit un parent plus ou moins éloigné.». Sentant que Joseph s’amuse à cultiver l’ambiguïté, Eric lui propose de faire courir le bruit qu’il est le neveu de l’ancien résident. Edouard se chargera de diffuser l’info chez les wallisiens. Pourquoi pas ! A noter que l'ambiguïté touche aussi le lecteur quand il apprend que cette maison est celle où vécut la famille Bernast, l'ex-chancelier du résident.
Au fil des pages le lecteur se délecte à suivre le parcours d’installation de Joseph à Wallis. On assiste notamment à une cocasse réunion de prérentrée scolaire. L’auteur n’y est pas tendre avec ses collègues « Il réserve son attention à observer les présents dans la salle. Beaucoup d’enseignants à quelques années des rivages de la retraite. Ils sont venus ici pour un ultime round ou pour amasser un petit magot avant l’heure de la sonnerie définitive. Leur démarche, leur style trahissent leur appartenance à la queue de comète de mai 1968….(--)…Mais il y a aussi un contingent de jeunes enseignants, arrivés pacsés sur l’île, puis redevenus célibataires en quelques jours. C’est devenu une tactique tendance de se pacser à la sortie de l’IUFM, il s’agit d’obtenir des points supplémentaires pour échapper à l’enfer de la Seine-Saint-Denis et être mutés au soleil… ». Mais lui, Joseph, pourquoi est-il là ?
Quelques chapitres plus loin l’auteur nous livre une autre anecdote savoureuse. Le scrutin législatif de juin 2002 a été invalidé et il faut revoter en ce début d’année 2003. En bon républicain Joseph ( Sépho pour les Wallisiens) accepte d’être assesseur au bureau de vote de Mata-Utu. Tout se passe bien jusqu’à ce que la fille du roi rentre dans le bureau. Le président prend alors l’urne et, se faisant accompagner de deux assesseurs dont Joseph, se rend au palais royal pour faire voter le roi Tomasi Kulimetoke. « Que dirait le Conseil constitutionnel s’il venait à apprendre cette péripétie des opérations de vote à Uvéa ? Séfo s’interroge en ayant conscience d’avoir vécu une expérience mémorable : faire voter le roi de Wallis.»
En parallèle à la découverte folklorique de la vie à Wallis par un coopérant expatrié, le roman s’intéresse aussi beaucoup et surtout au vingt deux mois de fonction de Léon Vrignaud le résident d’Uvéa du 4 juillet 1940 au 1er juin 1942. Le style est différent c’est un journal ou plutôt des mémoires que nous livre l’auteur.
«4 juillet 1940. J’arrive à Wallis accompagné de mon épouse et de mes deux enfants, à bord du ''Polynésien'', un steamer des messageries maritimes. Le docteur Lamy, mon prédécesseur m’attend sur le wharf, avec l’évêque et le kivalu….(…)…Lamy n’est resté que deux années sur l’île. Il quitte Uvéa à sa demande ayant invoqué la santé fragile de son fils né en début d'année. J’apprendrai plus tard que ce n’était pas le mobile unique de ce départ précipité. En effet il quitte Wallis le 8 juillet et dès son arrivée à Port-Vila, il se rallie à de Gaulle et rejoint aussitôt l’Australie.»
«….. Les premiers nuages menaçants commencent à poindre le 2 Septembre. Des nouvelles sur la situation en Calédonie nous parviennent alors à Uvéa. Le Conseil général de l’île a voté le ralliement au général de Gaulle….. Henri Sautot a été nommé par de Gaulle commissaire général pour toutes les colonies françaises de l’Océanie…( ..)… Les pères du Conseil épiscopal, unanimes derrière leur évêque souhaitent que je fasse connaître à monsieur Santrot le refus de Wallis de se rallier à la France Libre, cette dernière étant, selon les maristes, rebelle au gouvernement légal de la France. Et surtout derrière la France Libre, il y a l’Angleterre qui avancent masquée et, avec elle, la menace du protestantisme….. »
« …. Depuis le 1er janvier 1941, je reste sans nouvelles du monde extérieur. Ce silence perdure jusqu’au 15 mars, jour de ce que je ressens comme un coup de théâtre. Le gouverneur Henri Santrot me fait savoir par télégramme qu’il va faire un voyage spécial à Wallis…… Je comprends la menace à peine voilée. Cette visite impromptue augure un voyage politique programmé par les autorités de la France Libre….. (….) … J’ai alors l’idée de satisfaire la revendication latente de la chefferie wallisienne, c'est-à-dire de rétablir la monarchie. Ainsi le gouvernement uvéen va retrouver un semblant d’autonomie vis-à-vis de l’administration ….. »
«…. Fin mars 1941 intervient un différent de la plus haute importance. C’est ma plus grande déception à Wallis, je dois l’avouer. Le roi Leone refuse de prêter serment de fidélité au gouvernement français du maréchal : ce conflit entre Pétain er de Gaulle c’est une affaire de "papalagi" …
«….. Le 16 avril une radio du gouvernement a félicité les Français de Wallis pour leur comportement héroïque. Ils ont accepté "la famine plutôt que la farine" alors qu’ils auraient pu être ravitaillés par Nouméa s’ils s’étaient ralliés à la dissidence….(..)… Cependant un problème subsiste et devient de plus en plus angoissant chaque jour : celui du ravitaillement de l’archipel. Aucun bateau n’est venu à Wallis depuis le départ du ''Polynésien'' le 1er janvier. »
«…..Fin 1941, la situation du protectorat est de plus en plus désespérée. Je m’évertue à expliquer la conjoncture aux chefs wallisiens, ils me répondent alors avec candeur ou cynisme : " C’est à la France, nation protectrice, c'est-à-dire toi, de nous donner à manger "……(..)…Telle est toujours la situation à la mi-mai 1942. J’ignore que dans quelques jours la France Libre va arriver. »
Nous retrouvons maintenant Joseph en sa deuxième année à Wallis et le récit prend une nouvelle tournure. Un nouveau prof est arrivé à Wallis, c’est Jean-Marc Favé, professeur d’histoire titulaire d’un doctorat dont la thèse portait sur « La France Libre et les Anglo-Saxons dans le pacifique en guerre ». Lui, on comprend facilement les raisons de son affectation à Wallis et ce n’est bien sûr pas pour déplaire à Joseph. On évacue rapidement l’histoire des timbres, les planches de Wallis et Futuna de 1941 (en couverture du livre) improvisée par le capitaine Molina pour remplir les caisses du territoire et qui feront recette avec l’arrivée des soldats américains. Cette anecdote mise à part, cette seconde partie du livre est particulièrement intéressante pour élargir la connaissance de l’histoire d’Uvéa notamment la période qui suit le départ de l’île de Léon Vrignaud. Il y a aussi une bonne part de réflexions sur le contexte wallisien de 1940 à 42.
«…. Il reste pourtant une énigme. Pourquoi Wallis ? Alors que tous les territoires du Pacifique ont fait le choix de la France Libre, Wallis reste fidèle à Vichy. Bien sûr, il y a le rôle joué par monseigneur Poncet, mais son attitude a-t-elle été si différente de celle des autres responsables ecclésiastiques du Pacifique français ? Pas fondamentalement, affirme Joseph.
Ce qui m’a frappé, en étudiant cette période, observe Favé, c’est que les colonies françaises pionnières dans le ralliement étaient toutes enclavées dans un environnement anglo-saxon donc en situation de dépendance économique avec l’empire britannique. …. A contrario, Wallis n’avait plus beaucoup de liens économiques avec l’extérieur, vivant en quasi autarcie avec la fin de la production de coprah.»
C’est aussi dans cette seconde partie du récit que Joseph finit par révéler son secret familial à Jean Marc …. juste avant de quitter l’île.
Bien évidement je n’en dirai pas plus ! Ce billet a vocation promotionnelle pour un livre qui le mérite vraiment tant au point de vue culturel que pour sa trame mystérieuse. Un dernier conseil toutefois : « Lecteur, surtout ne zappe pas la dernière page : Hitchcockien ? Non ! Quand même pas, mais.... presque.»