A livre ouvert.....Toussaint Louverture.
Information : Cet article a déjà été publié le 6 mai 2010. J'en propose une seconde publication, sans le moindre changement, pour qu'il puisse être relu. J'ai souvent eu envie plusieurs fois de le republier : Quand on fait un peu trop d'hommages de Napoléon, mais aussi quand j'ai les articles de Thomas-Alexandre Dumas et de Joseph Bologne Chevalier de Saint George.
Ce billet j’en avais esquissé le plan le lundi 11 janvier après avoir lu le livre d’Aimé Césaire « Toussaint Louverture : La Révolution française et le problème colonial ». C’est en flânant à la bibliothèque du centre d’action culturelle de Niort, début janvier, que je suis tombé sur cet essai.
Toussaint Louverture est un personnage qui m’intéressait depuis fort longtemps et plus encore depuis mai 2009, suite à un séjour en Guadeloupe ; séjour qui coïncida avec les journées de commémoration de l’abolition de l’esclavage. Mes deux billets « Saga Antillaise… Kylangomigo Ema » et « Saga A…. Le 27 mai, Delgrès ou Pelage » me conduisaient, tout naturellement, à revenir sur cette histoire de la présence française aux Antilles-Caraïbes en fin de XVIIIème et début de XIXèmesiècle au moment où les «Lumières» commençaient à éclairer le monde et avant que Napoléon ne les éteignit pour plus d'un demi siècle. J’étais en train de rassembler des informations complémentaires glanées sur internet et je m’étais replongé dans un hors-série du Point, « La pensée noire : Les textes fondamentaux », acheté en mai 2009, à Orly, juste avant de m’envoler pour Pointe à Pitre…. j'en étais là de mon travail de préparation d'un billet lorsque le 13 janvier, au petit matin, la radio annonça le terrible tremblement de terre d'Haïti, stoppant net, mon projet.
Ce soir à Niort, au parc des expositions, une soirée spectacle est organisée pour Haïti… j’y serai et j’apporterai une trop modeste contribution financière…. Mais il me semble aussi utile et nécessaire de reprendre, aujourd’hui, ce billet.
Il n'est pas exagéré de dire que Toussaint Louverture a été la figure fondatrice de la cause noire..... Il fut, incontestablement, un précurseur de Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Richard Wright, Frantz Fanon, Malcom X, Jomo Kenyatta, Martin Luther King, Nelson Mandela, Barak Obama.... bien sûr sa courte et tragique expérience du pouvoir ne permet pas de garantir qu'il n'aurait pu devenir, lui aussi, comme ses successeurs en Haïti, un despote s'appuyant sur la terreur de tontons macoutes.... mais n'oublions pas aussi qu'à cette époque la France était dirigée par Robespierre, Saint-Just auxquels succéda Bonaparte. N'oublions pas, non plus, comment se sont comportés, au 20ème siècle, après l'indépendance, de prestigieux et charismatiques leaders de la décolonisation dans le tiers-monde et notamment en Afrique.
Toussaint serait né en 1746 à la plantation Bréda près de Cap Français sur l'île de Saint Domingue (Aujourd'hui respectivement Cap Haïtien et Haïti). Il est né esclave : son père Gaou, fut enlevé en Afrique pour être emmené à Saint Domingue. La légende veut qu'il ait été, au Dahomey (aujourd'hui Bénin), fils de chef coutumier de l'ethnie Fon et de famille royale Allada. La plantation, à laquelle Gaou fut vendu et où naquit Toussaint, appartenait à une famille corse, Baillon de Libertat, un nom qui ne s'invente pas pour des individus esclavagistes à visage humain. Ce fut au moins la chance du jeune Toussaint, qui bénéficia d'une semi-liberté et qui, enfant, put apprendre à lire et écrire. Jeune homme il fut affecté au service personnel du maître de la plantation et devint une sorte de cocher, secrétaire, homme à tout faire. Il fut affranchi à l'âge de 30 ans et put alors s'installer comme planteur de café employant une douzaine d'esclaves.
La Révolution qui a éclaté en France eut rapidement des répercussions à Saint Domingue et dès 1791 les esclaves se révoltaient dans plusieurs plantations. Les espagnols, qui occupaient la partie orientale de l’île et qui voulaient profiter de la situation chaotique, soufflèrent sur les braises, puis passèrent à l’action pour s’emparer de la totalité de l’île. Toussaint se rangea de leur côté et pendant quelques mois, à l’âge de 45 ans, il apprit le métier de soldat dans l’armée espagnol puis, à la tête de ses troupes de rebelles, il remporta plusieurs victoires contre l’armée française….. c’est suite à ces victoires qu’il fut surnommé Toussaint Louverture
Le 29 août 1793 Toussaint fit une proclamation appelant ses frères à le rejoindre « pour déraciner avec lui l’arbre de l’esclavage ». Convaincu, assez rapidement, que les espagnols n’avaient nullement l’intention d’abolir l’esclavage et intéressé par l‘arrivée sur l’île de nouveaux commissaires de la république, il tenta une nouvelle ouverture et négocia avec eux son ralliement. La Convention ayant aboli, le 4 février 1794, l’esclavage,Toussaint se retourna contre ses anciens alliés espagnols et les défit en seulement quelques semaines de combats en mai 1794, confirmant ainsi son exceptionnel talent de chef de guerre.
La nouvelle menace militaire venait des britanniques, qui comme en Martinique, se portaient au secours des gros planteurs. La bataille fut plus difficile pour Toussaint Louverture et ses hommes puisqu’il leur fallut près de quatre ans, pour déloger les anglais de Saint Domingue en chassant les derniers soldats en août 1798. Dorénavant Toussaint, devenu le 1er général noir de l’armée française, se comportait en patron de la colonie en faisant preuve d’un assez inattendu pragmatisme politique. Pour relancer l’économie il obligea ceux qui le suivait à abandonner leur tenue de soldat pour retourner travailler dans les champs de cannes à sucre ; un travail rémunéré même chichement, ce n’était plus de l’esclavage, et même s’il fallait aussi et toujours obéir à un chef, à un contremaitre. C’était une nécessité pour Toussaint que d’essayer de trouver un compromis avec les anciens planteurs blancs ou mulâtres afin que l’économie ne s’effondre pas complètement. Il eut à gérer une fronde parmi ses partisans, ses proches, sa famille même. Deux siècles plus tard, Nelson Mandela, connaitra lui aussi cette nécessité de composer, de rassembler, de pactiser avec les ennemis d'hier.... et donc de décevoir certains très proches.
Le 8 juillet 1801, Toussaint énonçait une constitution pour Haïti :
« Article 3 : Il ne peut exister d’esclaves sur ce territoire, la servitude y est à jamais abolie. Tous les hommes y naissent, vivent et meurent libres et français ».
« Article 4. Tout homme, quelque soit sa couleur, y est admissible à tous les emplois. »
« Article 12. La Constitution garantit la liberté et la sureté individuelle »
etc…etc….
« Article 28 : La Constitution nomme Gouverneur le Citoyen Toussaint Louverture général en chef de l’armée de Saint Domingue et en considération des importants services que ce général a rendus à la colonie, dans les circonstances les plus critiques de la Révolution, et sur le vœux des habitants reconnaissants, les rênes lui sont confiées pendant le reste de sa glorieuse vie »
Voila qui ne plut guère au nouveau maitre de la France bien que Toussaint ait pris quelques précautions en la transmettant aux autorités françaises accompagnée d’une lettre à l’intention de Bonaparte « ….je m’empresse de vous l’adresser pour avoir votre approbation… » .
De la même manière que Napoléon envoya l’armée française blanche mâter l’armée française mulâtre et nègre en Guadeloupe, il envoya à Saint domingue l’armée française blanche défaire les troupes de Toussaint Louverture.
En Guadeloupe, les insurgés eurent affaire au général Richepance qui obtint la réédition de Pelage, le suicide de Delgrès et récupéra la colonie avec retour de l’esclavage.
A Haïti Napoléon envoya son beau-frère Leclerc faire le ménage. Celui-ci a vaincu et emprisonné Toussaint Louverture mais, finalement, sans doute trop pressé de rentrer en métropole, il perdit la colonie.
Toussaint fut déporté en France et emprisonné au fort de Joux, dans le Jura, où il mourut le 8 avril 1803 l'âge de 57 ans.
Le bras droit de Toussaint Louverture, un ancien esclave Jean-Jacques Dessaline a repris la lutte victorieusement et chassa les français de Saint Domingue. Il proclama l’indépendance d’Haïti le 1er juillet 1804 et se proclama empereur, à l’instar de Napoléon....
Dans son livre «La Révolution française et le problème colonial » Aimé Césaire propose une analyse didactique de la démarche de Toussaint Louverture. « ....comment cet homme cocher d’habitation, sorti de la tourbe des esclaves, se soit révélé chef militaire et homme d’Etat, qu’il soit parvenu à bout des forces d’invasion anglaise et ait ensuite résisté aux troupes françaises, qu’il ait conduit son peuple au seuil de l’indépendance et qu’il ait péri victime d’un guet-apens et d’un abus de confiance il y avait là de quoi passionner un esprit généreux, avide de comprendre. Plus encore, placer l’action de Toussaint le Noir dans son milieu originel et dans la conjoncture coloniale, voilà la tâche que s’est proposée Césaire et qu’il a accomplie avec bonheur… » Selon la préface de Charles-André Julien.
Admiratif de Toussaint Louverture, mais lucide, Aimé Césaire nous plonge dans les contradictions des responsables en France de la Révolution, dans la gestion des conflits d’intérêts vis-à-vis des colonies. Conflits que connus Louverture après avoir mis les anglais hors de Saint Domingue quand le peuple libéré ne comprenait pas la nécessité de retourner travailler dans les plantations. Conflits amplifiés par les rapports ambigus entre mulâtres libres et esclaves nègres. L’auteur décrit l’anarchie sociale que provoqua dans la colonie l’annonce de la révolution : Les grands blancs qui appelèrent au secours les anglais dès les premières révoltes. Puis l’avant dernière étape avec la révolution nègre qui fut canalisée et façonnée parToussaint Louverture selon les grands principes de liberté et d’égalité qu’acceptèrent aussi les mulâtres et affranchis et les petits blancs. Enfin dernière étape la chute de Louverture qui n’avait pas compris, pas plus que Delgrès et Pelage en Guadeloupe, qu’il ne fallait accorder aucune confiance à Bonaparte ; chute qui, paradoxalement, a permis au pays d’accéder à l’indépendance. Que ce serait-il passé si Bonaparte n'avait pas été aussi orgueilleux et qu'il avait reconnu les mérites de Toussaint Louverture ? Une probable évolution dans un cadre français.... ce fut dit-on, l'un des regrets du Napoléon de Saint Hélène.
En guise de conclusion je rapporte des propos d’Aimé Césaire dans le cadre d’un entretien pour le Monde Diplomatique, en 2004:
« Le mouvement dé-colonial, pas plus que la conquête de l’indépendance, ne met à l’abri des pires déviations. On le voit en Afrique, l’indépendance contre un oppresseur ne garantit pas les droits de l’homme. ….
……L’Occident pardonnera-t-il un jour aux descendants de Toussaint Louverture ? Nous qui avons choisi une lutte de substitution à l’intérieur du monde colonial, nous devons à notre tour aider les haïtiens. Jamais nous ne compenserons tout à fait ce que nous devons au nègre fondateur. Le nègre fondateur c’est Toussaint Louverture, c’est la révolution de Saint Domingue….
….Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois…Ce fut leur conquête. Leur conquête était aussi pour nous…
…il en aura fallu du temps et des combats pour que cet homme universel qui appartient à tous, un siècle et demi avant Martin Luther King, ait droit à une place. Malheureusement pas toute sa place, même ici…. »